Maxime Schmitt : « Nous, on veut parler de semences paysannes avec les paysans d’aujourd’hui et de demain »
Juillet 2019
Nous avons interviewé Maxime Schmitt, Coordinateur Réseaux de la Maison de Semences Paysannes Maralpines de Nice. Quel est-ce qu’une semence paysanne, qu’est-ce que l’effondrement de la biodiversité cultivée ? Comment la Maison de Semences Paysannes répond à cet effondrement et comment chacun peut s’engager, c’est autant de questions auxquels nous avons tenté de trouver des réponses.
Pourrais-tu te présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Maxime, je suis oléiculteur, dans les Alpes-Maritimes et au-delà de faire de l’huile d’olive, dans le cadre de l’autonomie alimentaire, je produis des semences.
Et dans un deuxième temps, dans l’ensemble du département, avec un collectif de maraîchers, de chefs cuisiniers, de chercheurs, nous mettons en place une Maison des semences paysannes dite Maralpine, c’est-à-dire des Alpes-Maritimes, pour protéger la biodiversité cultivée de notre région, la sélectionner, la multiplier, retrouver une autonomie sur nos semences paysannes pour qu’elles soient adaptées à nos conditions pédoclimatiques, et pour les faire évoluer avec le changement climatique et nos pratiques agricoles et culinaires.
Est-ce que tu peux nous expliquer ce qu’on entend par érosion et/ou effondrement de la biodiversité cultivée ?
Aujourd’hui on entend des chiffres catastrophiques sur la perte de la biodiversité cultivée. Selon la FAO, 75 % des variétés cultivées qu’on pouvait trouver il y a 100 ans auraient disparu.
Au-delà de ces chiffres catastrophiques on voit une vraie réalité sur le terrain, où on entend dire qu’à une époque on avait ce chou qui était très adapté, à notre territoire, à nos pratiques agricoles et alimentaires. Et on avait ce goût dans les assiettes. On entend tous les jours des histoires catastrophiques de variétés qui existaient et qui ont disparu, qu’on ne trouve plus aujourd’hui. Maintenant on a une uniformisation sur les étals des marchés, dans nos assiettes, dans les potagers, chez les particuliers…
Il y a un effondrement qu’on se représente grâce des noms de variétés dont on nous parle, qu’aujourd’hui on n’arrive plus à retrouver. Mais il y a aussi un effondrement d’un point de vue plus immatériel : celui du goût. Dès qu’on parle avec des personnes anciennes, qu’elles goûtent les légumes qu’on produit à partir de semences paysannes, on voit vraiment un écho, une nostalgie d’une époque passée en disant : « Ah le goût des tomates de mon enfance ! », « Ah le goût des courgettes d’avant ! ».
Et cette nostalgie-là nous fait prendre mesure que dans l’ombre d’un effondrement grave, un autre est en cours et c’est celui du goût, de l’intérêt gustatif des légumes.
Est-ce que tu peux nous parler des causes de cet effondrement ?
Les causes sont multiples, c’est vraiment quelque chose de global, qui va avec un système lisse, mondialisé, basé sur la productivité, sur la compétitivité. Avec un objectif au début qui semble noble, après la première guerre mondiale : celui de nourrir la France. Il y a eu ensuite de gros efforts faits au niveau national pour augmenter la productivité, la rentabilité pour pouvoir nourrir les populations, puis évidemment, au bout d’un certain moment, une dérive. Une dérive vers du productivisme, de l’excédent, de la valeur ajoutée, de l’exportation, tout en continuant sur cette voie purement productiviste, en oubliant tout l’aspect gustatif et l’aspect humain avec les modèles agricoles qui vont avec. Ce n’est pas qu’un problème de semences et de perte de semences, c’est la perte du modèle agricole qui va avec.
C’est-à-dire que pour commencer à faire des monocultures immenses, complètement mécanisées, avec très peu de paysans, on est obligés de passer à un type de semences qui correspond à cette agriculture intensive, qui demande beaucoup d’uniformité, dans la forme, dans la taille, dans la hauteur des épis de blé… On a une logique globale de standardisation, parce que pour mécaniser, pour rendre rentable un hectare, il faut aussi standardiser le patrimoine génétique de la semence pour qu’il répondre à ce système agricole complet.
On parle aussi simplement du marché global, c’est-à-dire que la compétitivité entre les pays fait qu’on souhaite produire moins cher, là où la main d’œuvre est moins chère : par exemple dans le sud de l’Espagne. Il faut donc des légumes qui correspondent aux transports, aux voyages sur très longues distances… Des fruits qui sont transportables, qui résistent aux chocs, qui peuvent tenir longtemps dans des camions, qui peuvent tenir longtemps sur les étals des supermarchés. C’est l’ensemble du système de la production, de la distribution, qui est responsable de cette perte de biodiversité. Parce qu’elle répond à ce besoin d’uniformisation.
C’est aussi la cause des consommateurs qui se sont laissé faire, qui se sont laissé proposer des produits standardisés et qui aujourd’hui demandent et même choisissent plutôt des tomates parfaitement rondes, sans aucune imperfection. L’image qu’on a d’un légume parfait, brillant, bien ciré, c’est aussi une façon de voir les produits auxquels on a été habitués, dans lesquels les consommateurs voient un certain mode de confort, ils s’y reconnaissent.
Et donc changer de paradigme, faire évoluer cette standardisation-là, demande un changement de comportement de l’ensemble des acteurs : des producteurs de graines, à ceux qui les cultivent, à ceux qui les transportent, à ceux qui les vendent, les revendent et à ceux qui les achètent.
Et si les consommateurs parviennent à passer au-dessus de l’aspect esthétique des fruits et légumes, en comprenant les enjeux en termes de biodiversité, la plupart seraient prêts à s’engager pour consommer mieux ?
Pourquoi pas, je pense que la plupart des personnes prennent ce qu’on leur propose. Le consommateur est prêt à évoluer. Simplement, on est dans un paysage social qui est très complexe, très négatif, où il faut mener de front toutes sortes de batailles sur les déchets, sur le climat, sur les transports, sur l’éducation, sur l’économie… Toutes sortes de problématiques. L’alimentation est une part de ce problème-là, une part importante, et les semences sont encore une sous-part de ce problème. Il est difficile selon moi d’exiger que le changement vienne que des consommateurs, il doit venir aussi de politiques publiques qui choisissent de nourrir de façon pérenne et durable les populations.
Tout à l’heure, nous avons parlé des conséquences de l’érosion de la biodiversité en termes gustatifs. Mais quelles conséquences la raréfaction des semences traditionnelles peut avoir sur la souveraineté ou la sécurité alimentaire ?
De ce point de vue-là, et encore une fois dans la logique d’un modèle capitaliste mondialisé, tant que ce système existe et fonctionne on a une offre incroyable ! Aujourd’hui finalement, si on compare l’offre d’un petit village des Alpes-Maritimes reculé avec celle des marchés, il y a plus de biodiversité sur le marché quelque part. Il y a plus de types de légumes et de types de couleurs qu’avant, lorsqu’on ne pouvait trouver qu’une variété de tomates ou d’aubergines. Aujourd’hui les gens ont accès à internet et ont les moyens d’acheter des semences qui viennent d’Inde ou d’ailleurs.
Donc dans un marché mondialisé, on a de l’offre, on a du choix, mais c’est une apparence. Compter en permanence sur quelqu’un qui a des enjeux et des intérêts économiques divers des nôtres, de nous fournir un produit qui nous corresponde, à nous, à notre terroir, c’est un grand leurre. Et nous justement, on voit bien que tous les indicateurs montrent que le système de production agricole actuel, mondialisé est voué à l’effondrement, est voué à évoluer en tous cas drastiquement. On a perdu les semences qui étaient habituées à chez nous et les savoir-faire qui y sont associés. C’est surtout ces savoir-faire qui permettent de reproduire ses propres semences. On perd notre souveraineté alimentaire, notre capacité à nous alimenter au sein d’une communauté paysanne, une communauté humaine, à l’échelle du département, de vallées, des villes, même d’un pays on perd notre capacité à se nourrir soi-même, et ça, ça devient problématique.
De mon point de vue de paysan, le fait de dépendre de quelqu’un qui produit des plants, qui lui-même dépend d’un semencier, semencier qui dépend lui-même de celui qui détient les brevets, ou les certifications végétales, les protections juridiques est dangereux. On a toute une chaîne d’acteurs qui ont chacun leurs intérêts économiques, doivent faire leur marge, et donc on a du mal à voir à quel moment on a de la place pour prendre soin d’une semence qui soit adaptée à la terre vivante, à un sol vivant, dans un climat typique, très particulier, qu’on aurait pas exemple chez nous dans les Alpes-Maritimes. Des semences adaptées à nos vallées, à nos montagnes, à nos grandes chaleurs et nos sécheresses, adaptées au changement climatique, adaptées à nos pratiques, adaptées à nos goûts culinaires et adaptées à nourrir nos enfants.
Et c’est maintenant qu’on se pose la question : étant donné qu’on dépend toujours de quelqu’un qui lui n’a que des intérêts économiques : à quel moment est-ce qu’on est souverain de nous-mêmes ? A quel point on peut être autonomes ? A quel point on assure une sécurité alimentaire pour notre avenir, pour nos enfants ?
Est-ce que tu peux nous parler de ton travail et de comment il répond aux problèmes d’érosion de cette biodiversité ?
Alors aujourd’hui à notre petite et humble échelle, on a plus l’impression de mettre des pansements dans la passoire de l’effondrement génétique avec ce qu’on trouve encore dans nos campagnes. On a l’impression d’être dans un état d’urgence. Celui d’aller parler avec les anciens, ceux qui tous les jours disparaissent et partent avec leurs savoir-faire, celui d’avant les années 1960, 1970… Comment ils faisaient les semences, comment ils les sélectionnaient, c’est ce que nous cherchons à savoir. Parfois ils gardent quelques graines dans leur jardin, dans un tiroir : on part à leur rencontre et on va récupérer ces niches de biodiversité encore existantes.
© Studio 500 gram
On récupère parfois un fond de bocal ou juste une poignée dans une enveloppe, une graine rangée avec une histoire. Ça prend quelques secondes de transmettre, d’aller récupérer des graines d’oignon. Mais ça prend des heures et des heures autour d’un café pour avoir des explications sur la façon dont on le cuisine, on le produit, à quelle lune, comment on en fait la semence, comment on choisit l’oignon qui deviendra le meilleur des porte-graines. Mais aussi ce qu’avait fait l’arrière-grand-père le jour où il avait quasiment perdu cette variété parce qu’elle s’était croisée avec une autre et comment il a réussi à la récupérer. Chacune des choses qui font partie d’une culture…
Mais au-delà de la culture des champs on a vraiment cette culture paysanne, cette culture qu’on retrouve par écho d’un passé disparu. Ce lien intime qui existait entre des humains, des paysans, des communautés rurales et des espèces végétales, cultivées, qui ont co-évolué avec eux pendant des centaines et des centaines de générations, pendant 10 000 ans d’agriculture. Une évolution de l’espèce cultivée en fonction des besoins, des envies, des humains qui les maintiennent vivantes, qui leur apportent de la diversité, qui les pollinisent à la main, qui les préservent des prédateurs. C’est ce lien, cette symbiose, qui a existé si longtemps, qui a disparu en deux générations seulement.
On vient récupérer, enregistrer ces échos, on essaie de les maintenir en vie. Evidemment, on vit aujourd’hui avec nos contraintes économiques. Être maraîcher, ce n’est pas une évidence économique, donc on n’est pas là pour de la nostalgie, on ne parle pas de semences anciennes, ni traditionnelles, même si celles-ci ont une histoire et une tradition. Nous, on veut parler de semences paysannes avec les paysans d’aujourd’hui et de demain. On veut parler de semences pour l’agriculture d’avenir, une agriculture qui ait un sens, et également un sens économique. Donc aujourd’hui on récupère les semences et parfois on a des semences qui sont très productives ! Parfois elles ne le sont pas mais simplement parce qu’il y a une absence de travail agronomique, de sélection vers la productivité. Et donc en se réappropriant les savoir-faire, on fait le travail agronomique qui doit être fait pour maintenir et augmenter la productivité, en même temps que le goût et la nutrition. C’est avoir une vision holistique de la semence qui ne soit pas basée que sur la productivité ou la résistance à une maladie. Mais vers une adaptation pour que les semences rentrent dans un système agroécologique global.
Concrètement, lorsque tu interroges les paysans, tu as un carnet de notes ? Tu les enregistres sur un dictaphone ? Comment ça se passe pour la récolte et la sauvegarde de toutes ces données ?
Ca dépend vraiment parce que parfois ce n’est pas évident d’arriver avec une grosse caméra devant une mamie de 80 ans et de lui soutirer des informations. On n’est pas dans cette démarche, on essaie de venir avec douceur, avec du temps. Il faut se réapproprier aussi cette notion de temps, de faire confiance, de faire connaissance. Parce qu’on ne donne pas des semences comme ça non plus, ce sont des choses auxquelles les gens sont attachés. Il faut créer des liens et une confiance pour aller récupérer tout ça donc ça peut passer par un carnet de notes, parfois des caméras, parfois un dictaphone, c’est vraiment du cas par cas.
Et puis après ça on le récupère et au sein du collectif on redistribue ces semences, à qui en a l’affinité, à qui en a envie, de faire de la graine de carotte, à qui le peut techniquement parce qu’il n’a pas de carottes sauvages chez lui et que c‘est facile de faire de la semence. Quelqu’un qui est prêt à introduire cette semence dans son système agricole pour la produire en quantité. Aujourd’hui on est une vingtaine de maraîchers à produire chacun deux variétés en quantité pour pouvoir ensuite se les échanger. Un catalogue d’avoir interne, au sein de l’association, du collectif, nous permet de tracer ces échanges et la distribution des semences et de savoir où elles ont poussé, dans quel sol, comment elles ont été arrosées, comment elles ont été fumées, quelles sont leurs histoires et comment on les utilise.
On travaille également avec les distributeurs qui en font la promotion auprès de leurs clients pour que les clients aient la chance d’être informés sur ce qu’ils vont manger, derrière ce légume. C’est autre chose que des hybrides F1 standardisées, avec peu ou moins de nutriments. Les légumes issus de semences paysannes ont une histoire et valorisent la sécurité alimentaire des paysans qui les produisent.
Ensuite, les chefs font ce même travail de valorisation en le transformant de façon gustative. Il faut savoir qu’il y a un savoir-faire gustatif. Par exemple un melon d’hiver à Antibes, si vous ne savez pas que c’est un melon d’hiver et que vous essayez de la manger en hiver il est infâme ! Donc il faut savoir qu’il doit rester 4 mois à la cave pour compléter sa maturité, se concentrer en sucres et devenir un super melon qui va être mangé au mois de décembre ou même janvier. Tout cela, il faut qu’un cuisinier le sache pour pouvoir le proposer dans des assiettes et proposer un melon de saison, local et biologique au mois de janvier. Le rôle du cuisinier c’est de faire partie de cette chaîne. Il va sublimer dans les assiettes, ce que peuvent offrir d’extraordinaire, des semences paysannes de nos territoires.
Et les distributeurs, ce sont des boutiques alternatives ?
Alors évidemment, aujourd’hui les magasins de la grande distribution, ce n’est pas leur priorité bien qu’ils sentent que le vent tourne. Beaucoup de grandes chaînes sentent que les clients et les restaurateurs en demandent, et ils sentent bien qu’il faut répondre à cette demande. Le danger c’est que leur grand modèle économique dépend de grandes productions, de la guerre des prix, du système agricole tel qu’il existe aujourd’hui. Et il peut y avoir une récupération comme on l’a vu sur les fausses tomates anciennes ! Dans les supermarchés aujourd’hui on trouve de fausses tomates anciennes. Eux aussi se disent : « nous aussi on va distribuer des variétés anciennes ». En quelques années, la réponse ne s’est pas faite attendre et on a de la fausse Green zébra, plein de tomates qui paraissent anciennes parce qu’elles ont plein de couleurs. Alors qu’il y a 30 ans, les tomates elles avaient la forme de balles de ping pong, rondes et rouges. Aujourd’hui, on a l’impression qu’on a plus d’offre, mais ce sont bien souvent des hybrides F1. Parce qu’on a créé des hybrides F1 qui ressemblent aux tomates anciennes. Donc il y a une réponse du système capitaliste, productiviste, mondialisé à cette demande.
Le changement de paradigme, de consommation, du modèle agricole, je le vois avec beaucoup plus de distributeurs, de revente locale, beaucoup plus proche de ceux qui produisent, avec des consommateurs qui vont chercher directement leurs paniers chez les producteurs, au sein des AMAP. Pour les habitants des villes, je pense qu’il s’agira d’aller les chercher ses légumes, ses fruits auprès des distributeurs qui eux-mêmes se fourniront auprès de producteurs proches, et qui ne proposeront que des produits de saison. Donc oui, les distributeurs qui travaillent avec nous sont des distributeurs qui ont une vision alternative de ce que doit être l’alimentation de demain.
Et combien de chefs cuisiniers participent à ce projet ?
Aujourd’hui, le projet est pleine construction donc il y en a peut-être 8 qui sont déjà intéressés, qui veulent s’investir, qui attendent impatiemment qu’arrive la production, les légumes issus de semences paysannes.
Aujourd’hui, le travail est devant nous mais on a des besoins techniques, des besoins économiques pour pouvoir se réapproprier les savoir-faire, avoir le matériel qui va bien, pouvoir répondre à cette demande, organiser l’ensemble de la filière de production, de distribution de légumes issus de semences paysannes. Ça demande d’avoir des fonds, de rediriger l’argent de nos impôts qui sert à financer l’INRA, qui depuis longtemps a focalisé son attention et son travail de recherche publique sur la compétitivité économique, sur la privatisation du vivant, à travers des brevets pour rester dans ce système productiviste, capitaliste et mondialisé. On a besoin de rediriger les fonds de la recherche publique ou de trouver d’autres systèmes de financement pour qu’au sein des maisons de semences, des collectifs, nous puissions préserver nos besoins réels, locaux, avec les contraintes climatiques, pédoclimatiques de sols, de systèmes de production agroécologique. Nous avons besoin de façon urgente de ces recherches.
C’est peut-être particulièrement le cas en France qui est un pays très agricole et très exportateur de denrées alimentaires ? Est-ce qu’il y a une plus grande conscience des intérêts de la protection de la biodiversité dans les autres pays européens ?
C’est quand même très global, il y a des pays où l’effondrement est encore pire qu’en France. C’est un peu à l’image du fromage : il est resté en France plus de traditionalisme et donc peut-être plus de semences préservées que dans certains pays qui se sont fait balayer du revers de la main par le système agricole dominant. Je pense à des endroits comme l’Espagne où c’est la catastrophe. D’autres pays plus pauvres n’ont aucune résistance aux grandes firmes semencières. Il y a des endroits comme l’Italie par contre qui sont restés très territorialisés, très enclavés, très portés sur leurs traditions, ce qui fait qu’on y retrouve beaucoup plus facilement des semences traditionnelles. Mais la catastrophe est quand même mondiale.
Souhaites-tu ajouter quelque chose en ce qui concerne le travail de la Maison des Semences Paysannes Maralpines, sur le travail du collectif ?
On travaille aussi avec des chercheurs parce qu’on veut redéfinir le métier de paysan. Pour se réapproprier en tant que paysan le travail de chercheur. On peut être paysan et chercheur, on ne veut plus que paysan rime avec stupide ou peu cultivé. Ce sont des personnes qui cultivent la Terre mais qui sont elles-mêmes cultivées. Qui comprennent ce qu’est la science, la technique, mais également ce qu’est la poésie, ce qu’est la beauté. C’est un métier qui est fondamentalement beau, qui vit avec des sols vivants, avec des plantes vivantes. Il peut intégrer les semences dans cette dynamique-là : une dynamique vivante et évolutive.
C’est-à-dire qu’on peut être paysan et faire de la sélection qualitative, faire des semences de qualité, qui n’ont pas de problèmes sanitaires, qui ne remettent pas en cause la sécurité de notre alimentation. Qu’on est capables, qu’on est autonomes et souverains de notre alimentation, et qu’on peut nourrir avec confiance nos enfants, nos populations, nos villages. Et c’est vraiment au sein de cette démarche globale là qu’on veut replacer les semences paysannes.
Pour finir, est ce que tu aurais quelques conseils à donner à toutes les personnes qui souhaiteraient aider à limiter l’effondrement de la biodiversité, ou consommer de façon à valoriser des semences plus locales ou adaptées à leur territoire ?
Oui, un tas de conseils ! Les conseils ne commencent pas par dire « faites tous vos propres semences ! », ils commencent déjà par ne plus consommer au supermarché, le moins possible. Faire de l’expérience su supermarché quelque chose d’insupportable. Voilà déjà une première étape.
Manger des produits qui sont locaux, éviter des produits qui sont issus du colonialisme, c’est déjà une première démarche : consommer des produis qui sont biologiques, dans le sens où ils respectent les sols. Pas dans le sens où ils sont forcément labellisés, mais dans le sens où ils respectent la vie de nos sols, la qualité de nos aliments. Il est important de se renseigner sur ces questions, d’être informé et d’avoir conscience qu’on mange des produits qui sont locaux, qui sont bios, et qui sont de saison. C’est-à-dire qui poussent maintenant et qui n’ont pas besoin d’être forcés dans des serres chauffées avec du pétrole ou du gaz… Déjà ça c’est une première démarche avant de s’intéresser véritbalement aux semences.
Ensuite, une fois que cette première démarche est acquise, on peut faire un pas en avant en se disant « je produis moi-même ». Je conseille alors à chaque personne qui a un balcon, un jardin partagé, un vrai jardin, un champ, de commencer par faire une ou deux semences, d’être dans une progression douce, de se réapproprier pas à pas les savoirs, de voir le cycle. Il s’agit juste de planter sur son balcon quelques salades, de les voir monter en graines, et de voir finalement qu’une seule salade va donner mille, dix mille graines ! De voir l’abondance de ces graines-là. Et là c’est un déclic, ça fait changer quelque chose à l’intérieur de soi. On comprend qu’il y a un cycle et qu’on peut faire partie de ce cycle-là. On peut comprendre les difficultés qu’il faut pour produire un kilo de tomates, pour fabriquer une belle salade. Et tout d’un coup, quand on va la consommer, quand on va l’acheter, on a plus d’empathie pour celui qui les produit. C’est une seconde démarche.
Quand on ne peut pas produire soi-même, on peut tout de même faire un pas en avant en décidant d’aller au contact de celui qui produit et de co-évoluer avec celui-ci, qui n’a pas forcément conscience des conséquences sociales, économiques, nutritives et gustatives que peuvent poser les hybrides F1. Avec celui qui les produit, avec ses contraintes, on va être dans de la confrontation ou plutôt dans de la coévolution. Aller consommer chez ces personnes, trouver ensemble des solutions à l’évolution de ce paradigme, c’est une autre manière d’agir. Par exemple : faire partie d’une AMAP, en créer une, avoir un magasin de producteurs locaux, se renseigner, aller sur les fermes ou devenir soi-même paysan…
Découvrir le projet de la Maison des Semences Paysannes Maralpines…