L’alimentation durable et ses alternatives : de la production à la consommation
Juin 2019
« Manger est le premier acte vital, certes, mais, en raison de cette iniquité, un acte social, politique, juridique, moral et, sans doute aussi, sacré » Michel Serres, philosophe.
Tandis que les tendances de consommation vont vers un éveil des consciences autour du bien-manger (plus sain, plus bio, plus local, écoresponsable), dans les perceptions, « bien manger » est encore souvent associé à la contrainte ou au scepticisme : « manger bio c’est cher », « s’il faut vérifier tous les ingrédients, où est le plaisir ? », « le bio c’est pour les bobos », « le bio du supermarché qu’est-ce que ça vaut ? ». Nous sommes donc dans l’ère du consommateur schizophrène : tiraillé entre ses convictions, son désir de faire attention à sa santé, de soutenir l’économie locale, mais aussi… de se faire plaisir, de manière accessible !
« Il y a une dissociation entre toutes les grandes causes agricoles et la cuisine […] or pour intéresser tout le monde il faut parler de plaisir c’est ça qui nous rassemble » Camille Labro, journaliste culinaire.
Avertis sur les différents scandales alimentaires, les consommateurs sont en quête de vérité, de transparence et de réassurance. Ils connaissent de plus en plus les méthodes, process des industriels et deviennent de plus en plus exigeants : produits de qualité, fait-maison, équilibre alimentaire, composition des produits… Selon un sondage Ipsos réalisé en 2016, la saisonnalité (40%), les conditions de productions (34%), l’origine géographique (34%) et le respect de l’environnement (33%) font partie – juste après le goût/le plaisir (56%) et le prix (55%) – des critères les plus importants dans les choix alimentaires des Français.
L’alimentation est au cœur d’enjeux culturels (gastronomie, patrimoine culinaire), sanitaires (sécurité, prévention), économiques (marchés alimentaires, production), mais aussi politiques voire identitaires (mouvements végan/végétariens, rapport au corps…). Ainsi, elle s’impose comme un défi collectif à relever : paysans, citoyens, politiciens, maires, chefs cuisiniers, nous sommes tous concernés. L’alimentation se doit donc d’être « durable ». Mais qu’est-ce qu’une « alimentation durable » ?
Selon l’Avise (Agence d’ingénierie pour développer l’Économie sociale et solidaire), l’alimentation durable doit être « accessible à tous, saine et équilibrée, répondant aux besoins nutritionnels humains, elle doit s’inscrire dans un système qui préserve l’environnement, le climat, les sols, l’eau, la biodiversité et doit s’appuyer sur des modes de production agricole durables, assurant un revenu équitable pour les producteurs, et préservant le développement local ». Elle va donc à l’encontre d’un système intensif et industrialisé basé sur une forte transformation des produits consommés, des distances entre producteur et consommateur et d’un fort gaspillage des aliments.
Alors, concrètement, comment tendre vers une alimentation plus durable ?
Les alternatives à l’échelle individuelle
« Mangez 5 fruits et légumes de saison par jour » : voici un slogan publicitaire durable.
Pourquoi doit-on soutenir les fruits et légumes de saison ?
- Ils ont plus de goût : les fruits et légumes qui arrivent à maturité au soleil développent des saveurs que ceux mûrissant pendant le transport ne peuvent avoir.
- Ils répondent au bon moment à nos besoins nutritionnels : En hiver, les légumes de saison sont riches en minéraux et vitamine C. En été, les fruits et légumes de saison sont gorgés d’eau pour pallier les fortes chaleurs
- IIs sont moins traités : hors saison, un fruit ou un légume viendra d’une récolte sous serre, où il a été aspergé de pesticides pour compenser le manque de soleil et de nutriments dans le sol : un risque pour la santé des consommateurs et la fertilité des sols
- Ils ne soutiennent pas un modèle sanitaire qui pose questions (exploitation salariale par exemple), mais favorisent les producteurs locaux rémunérés au juste prix
S’approvisionner via des circuits alternatifs
Mais ce n’est pas tout : le consommateur-citoyen peut court-circuiter les supermarchés en se tournant vers des alternatives comme : La ruche qui dit oui, Locavore, Les Incroyables Comestibles, Les Cueillettes, les potagers urbains…
Acheter de saison ne suffit pas, il ne faut pas gas-pi-ller !
Le gaspillage alimentaire est un scandale éthique : 30% des aliments produits dans le monde sont jetés, alors qu’1/6 personne souffre de malnutrition (FAO). Au-delà du problème moral, c’est également un problème environnemental : chaque aliment nécessite une consommation d’eau considérable pour sa production et sa transformation. A titre d’exemple, 1kg de boeuf nécessite environ 13.500 litres d’eau (Le Monde, 2015). Mais le gaspillage alimentaire contribue également à la pollution des sols et des eaux : des espaces agricoles sont monopolisés pour rien, des engrais et pesticides viennent polluer les sols et les cours d’eau.
Plusieurs alternatives existent contre le gaspillage alimentaire, et chacun peut y participer :
- • Mouvement « Disco soupe » : des sessions collectives et ouvertes de cuisine de fruits et légumes rebuts ou invendus, le tout dans une ambiance musicale et festive. Les repas confectionnés sont ensuite redistribués à tous les participants gratuitement.
- • « Too good to go » : une application qui permet d’acheter les invendus des commerçants afin de permettre aux vendeurs de limiter le gaspillage alimentaire et de ne pas perdre d’argent sur les invendus, tout en permettant aux utilisateurs d’avoir des bons plats à petits prix.
- • « Hophopfood » : une application qui permet de partager les produits de votre frigo que vous ne consommerez pas
- • « Frigomagic » : une application qui recense le contenu de votre frigo et vous propose des recettes faciles, végé ou véganes avec ce que vous avez !
- • « Check food » : une application qui permet, via le scan des codes-barres des aliments, d’être tenu informé régulièrement des dates de péremption des aliments de votre frigo
- • « Les Frigos solidaires » : la possibilité d’ouvrir un frigo en libre-service en extérieur en partenariat avec un commerçant, où chacun peut déposer ou prendre de la nourriture gratuitement et quand il le souhaite.
Limitons les déchets !
A raison de 3 repas par jour, il n’est pas inutile de rappeler la quantité de déchets que génèrent les repas, goûters, pauses café…
Et la palme du déchet le plus tenace revient au… plastique ! Un sac plastique ou une bouteille en plastique mettent 400 ans à disparaitre. Un emballage plastique qui n’est pas nécessaire génère un gaspillage d’énergie car le plastique est produit à partir de pétrole. Il n’est pas inutile non plus de rappeler que le plastique pollue les océans et détruit la biodiversité.
Des alternatives zéro déchet existent :
- Refuser tous les produits à usage unique (pailles, verres en plastique, sac plastique, vaisselle jetable…), préférer une gourde / tasse au travail, un sac en tissu, des bocaux…
- Réutiliser tout ce qui peut avoir une deuxième vie (composter les déchets organiques…)
- Recycler tout ce qui peut l’être (emballages)
- Eviter les produits suremballés (fruits et légumes, gâteaux, packs d’eau…)
Les fruits et légumes de saison, l’anti-gaspillage et le zéro déchet convergent tous vers cette tendance du « manger moins mais mieux ». La production intensive d’après-guerre et l’ère du food nomade laissent place à l’hyperlocal, avec un enjeu d’organisation collective. Si les alternatives individuelles présentées sont un point de départ, elles peuvent être culpabilisantes. Il est donc possible d’agir à l’échelle collective pour atteindre la souveraineté alimentaire en se détachant du système exécutif et capitaliste, et donc des supermarchés.
Les alternatives à l’échelle collective
Les AMAP (Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne). Quezako ?
D’après la charte nationale des AMAP déposée à l’INPI en mai 2003, une AMAP a pour objectif de « préserver l’existence et la continuité de fermes de proximité dans une logique d’agriculture paysanne, socialement équitable et écologiquement saine, de permettre à des consommateurs d’acheter à un prix juste des produits d’alimentation de qualité en étant informés de leur origine et de la façon dont ils ont été produits. Elle réunit un groupe de consommateurs et un agriculteur de proximité autour d’un contrat dans lequel chaque consommateur achète une part de la production (souvent sous forme de paniers de fruits et légumes) qui lui est livrée périodiquement à un coût constant. »
L’agriculture urbaine, toi toi mon toit
L’association Les Incroyables Comestibles permet à des citoyens de se retrouver autour d’un projet collectif de jardin partagé en ville. L’idée ? « Planter partout là où c’est possible et mettre les récoltes en partage ». En ce sens, de plus en plus d’entreprises voient fleurir des potagers sur leurs toits. Au-delà de leur rôle pédagogique, ces collectifs permettent aux citoyens urbains de se réapproprier la phase de production de l’alimentation, d’avoir accès à des produits locaux et de reconnecter avec la réalité de la production agricole.
La cantine, c’est bio !
La législation française a récemment évolué sur l’introduction du bio en restauration collective notamment grâce au projet de loi « Egalité et Citoyenneté » adopté en 2016 par l’Assemblée Nationale. Dès le 1er Janvier 2020, 40% d’aliments durables dont 20% issus de l’agriculture biologique ou en conversion sont attendus en restauration collective. Il est de la liberté de chacun de soutenir ces initiatives localement (en tant que parent d’élève, habitant ou citoyen engagé…) à travers des pétitions, des réunions dans les établissements, au sein des conseils municipaux…
Les filières de proximité durables et solidaires
A Lyon, le Groupement régional alimentaire de proximité (Grap) coordonne une vingtaine d’activités autour de l’alimentation durable, de la production à la distribution : restaurants, épiceries bio, boulangeries… Kévin Guillermin, le gérant, explique : « Le groupement a pour objectif de structurer et consolider les nombreuses initiatives engagées dans la relocalisation alimentaire. Nous nous concentrons sur les projets faisant la promotion de l’agriculture biologique, paysanne ou encore de l’agroécologie et favorisant les circuits courts et locaux ». Dans la même lignée, le mouvement « Slow Food » a lancé le projet « l’Alliance des Cuisiniers » dans le but d’impliquer le monde de la restauration dans la sauvegarde de la biodiversité. Il s’agit d’un réseau de restaurateurs qui valorise les produits locaux en établissant des partenariats avec des petits producteurs.
En étant le dernier maillon de la chaîne alimentaire, le consommateur-citoyen joue un rôle crucial. Mais il n’est pas le seul concerné par ces enjeux.
Quel sort est réservé aux producteurs / paysans ?
« Sans paysans, aucun humain ne survivrait. Le paysan est le père nourricier de l’humanité. Il occupe, en cela, une position exceptionnelle dans la condition humaine. Aucun professionnel ne lui est comparable » Michel Serres, philosophe.
L’agriculture bio prend son essor en France, couvrant 7,5% de la surface agricole utile du pays (Alimentation Générale, 2019) impactant petit à petit les importations. Coté consommation, le bio représente désormais 5% des achats alimentaires des Français. Si la tendance est de plus en plus à un mode de consommation durable, les politiques agricoles ne sont pas encore alignées sur les aspirations des consommateurs.
En effet, La PAC (Politique Agricole Commune) a été mise en place en 1962 pour garantir l’indépendance alimentaire de l’Europe. Avec un budget annuel de 50 milliards d’euros (dont 9,5 pour la France), elle ne répond plus aux enjeux agricoles d’aujourd’hui. Si elle fut une réussite à ses débuts, elle conduit aujourd’hui une politique énergivore, utilisant massivement les engrais chimiques et pesticides, avec des conséquences socio-environnementales : impacts négatifs sur la santé, la qualité de l’eau, la fertilité des sols, le climat, et la biodiversité, sur l’emploi et le dynamisme rural (en 10 ans, -25% d’emplois agricoles).
De plus, la PAC est une politique asymétrique, favorisant les propriétaires ayant le plus grand volume de terres, au détriment de l’agriculture paysanne ou familiale, qui occupe de petites surfaces. Le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER), qui finance des programmes de développement rural, d’agriculture biologique, ou de protection de l’environnement et de la biodiversité ne dispose que de 25% du budget de la PAC tandis que les 75% restants sont versés sous forme de primes à la surface (Atlas de la PAC, 2019).
« Ce qu’on voudrait aujourd’hui c’est que la PAC devienne une politique agricole et alimentaire commune, qu’on replace l’enjeu alimentaire au centre de cette politique. Quand on parle d’alimentation on parle à tout le monde. Quand on parle de PAC on se dit ça concerne que trois paysans dans le village d’à côté, mais non. » (Aurélie Catallo, pour une autre PAC, Soirée-débat du 22 Février 2019 organisée par SOL).
On s’y met quand ?
L’alimentation est un moyen concret d’agir trois fois par jour, il est important de saisir les enjeux qui gravitent autour de la durabilité tout au long de la chaîne alimentaire : de la production, à la transformation, à la consommation.
Merci à Manon Raulet, bénévole chez SOL, pour la rédaction de ce très bon article !
Pour aller plus loin :
Découvrez le projet Biofermes France et son engagement pour l’agriculture paysanne…
Apprenez-en davantage sur le travail de la Plateforme pour une autre PAC, dont SOL est membre…
Bibliographie
http://www.adequations.org/spip.php?rubrique184
https://alimentation-generale.fr/chronique/lexception-agricole-selon-michel-serres/
https://www.avise.org/dossiers/alimentation-durable
https://www.avise.org/articles/alimentation-durable-et-systemes-alimentaires-territorialises
https://www.avise.org/articles/des-politiques-publiques-en-faveur-de-lalimentation-durable
https://www.avise.org/articles/exemples-dactions-soutenues-par-les-conseils-regionaux
http://www.fondation-nature-homme.org/magazine/alimentation-durable-quels-enjeux/
Atlas de la PAC, Chiffres et enjeux de la Politique Agricole Commune, 2019, Heinrich Böll Stiftung, Paris.
Alimentation durable : les Français de plus en plus attentifs à ce qu’ils mangent, sondage Ipsos réalisé pour la Fondation Daniel et Nina Carasso, 1022 personnes représentatives de la population française âgée de 18 ans et plus