L’impact de la Covid-19 sur nos actions
Novembre 2020
D’ordinaire, notre équipe a le plaisir de vous présenter le bilan des actions que nous menons sur le terrain avec nos partenaires et partager les réussites et les étapes à venir pour soutenir les paysans et paysannes et favoriser la transition agricole. Mais en cette période bien particulière de pandémie mondiale, nous sommes aussi résolus à vous partager les impacts que la crise de la Covid a sur nos zones d’actions. La période n’est pas simple mais nous arrivons à nous adapter et à répondre au mieux aux impératifs sanitaires du moment.
A l’approche de la fin de l’année, dressons donc le bilan sans fard, région par région, grâce à la veille constante de nos différentes chargées de projets.
Inde : des communautés rurales durement touchées par le virus et les catastrophes climatiques
Depuis mi-mars 2020 et dans un contexte politique complexe, l’Inde subit de plein fouet la crise du coronavirus: après un confinement strict imposé à la population en moins de 24h, 1,3 milliard d’indien·nes se retrouvent confinés jusqu’au mois de juin et dans l’incapacité de poursuivre leurs activités. Les transports (aérien, ferroviaire, routiers) ont été suspendus et les rassemblements interdits. Les frontières entre les 27 Etats composant le pays ont de plus été bloquées. Les mesures de confinement prises par le gouvernement indien pour endiguer la pandémie ont ainsi fortement impactées l’économie informelle (plus de 80% des actifs) et l’agriculture (55% des actifs), augmentant la précarisation des plus vulnérables.
De nombreux paysan·nes se sont retrouvé·es dans l’impossibilité de vendre leurs récoltes du fait de la fermeture des marchés et des commerces de rue, menaçant directement leur sécurité alimentaire et celle de leurs familles. Les possibilités de travail aux champs ont été très limitées. Cette situation a conduit certain·es paysan·nes a laissé pourrir leurs récoltes, étant dans l’impossibilité de les vendre et d’augmenter leur endettement. A cela s’est ajoutée la migration de milliers de travailleurs saisonniers vers leurs campagnes natales, du fait de la perte de leurs emplois augmentant la charge sur la sécurité alimentaire des familles rurales.
Dans ce contexte, il a été observé l’importance pour les paysan·nes accompagnés dans le cadre des projets Biofermes et Graines de l’Espoir, des jardins potager, garant d’une plus grande résilience pour assurer la sécurité alimentaire de leurs familles.
En plus de la crise sanitaire, l’Inde a dû faire face à des catastrophes naturelles fragilisant davantage des populations déjà durement impactées par la crise. En effet, le cyclone Amphan, qui a frappé le Golfe du Bengale le 21 mai 2020, ou encore l’invasion historique de criquets pèlerins au Rajasthan ont détruit de nombreuses habitations et cultures menaçant directement les conditions de vie de milliers de familles.
Navdanya, notre partenaire indien, a ainsi distribué des produits d’hygiène de première nécessité dans 40 villages du Bengale Occidental, Etat durement touché par la crise sanitaire et le cyclone. De plus, 500 kits d’urgence, comprenant du riz, des pommes de terre, des lentilles, de l’huile, des biscuits, du lait, du savon, ont été distribués. Des semences paysannes adaptées aux conditions climatiques locales ont également été remises à 500 paysan·nes ainsi que 850 arbres fruitiers aux femmes des groupes d’entraides suivies dans la région. La distribution de semences et d’arbres fruitiers va permettre aux paysan·nes de relancer leurs productions agricoles et de contribuer à leur sécurité alimentaire sur le long terme.
Durant ces mois de confinement, nous avons activement travaillé sur un nouveau projet avec Navdanya : Graines de Résilience qui a débuté en novembre 2020. Ce projet d’envergure a pour but, à partir des réussites des projets précédents, de soutenir plus de 200 paysan.nes supplémentaires dans leur transition agroécologique et de renforcer leur résilience aux changements climatiques. Pour répondre au mieux au contexte actuel et aux besoins qui se sont fait jour, le projet prendra en compte l’impact économique et sanitaire de ces derniers mois pour assurer une plus grande sécurité alimentaire et la résilience des paysan.nes sur le long terme.
Sénégal : des projets qui continuent d’avancer malgré la crise
Au Sénégal, l’état d’urgence déclaré le 22 mars 2020, a imposé un semi-confinement aux populations à travers le pays (couvre-feu, fermeture des marchés hebdomadaires, interdiction des déplacements interurbains, télétravail, etc.). Ces mesures ont entraîné de fortes conséquences socio-économiques, notamment pour les populations les plus vulnérables qui dépendent du secteur informel et subviennent à leurs besoins au jour le jour. L’insécurité alimentaire s’est donc sensiblement accrue, en particulier en zone rurale, où la période de soudure a été particulièrement difficile cette année. En effet, les mauvaises récoltes de la campagne précédente se sont combinées à la fermeture des marchés qui permettent aux paysan.nes d’écouler leurs produits, aux difficultés d’approvisionnement de certaines denrées importées et à l’augmentation de la charge alimentaire avec le retour dans les villages de nombreux jeunes dans l’incapacité de poursuivre leur travail en ville.
Dans ce contexte, la FONGS-Action Paysanne, notre partenaire sur le projet Valoriser les Céréales Locales, a dû fermer ses bureaux pour 3 mois et mettre ses employés en télétravail. De plus, les 5 organisations paysannes bénéficiaires du projet (ADAK, EGABI, EGAK, JIM JAG et URAPD) ont elles aussi été contraintes de suspendre leurs activités. Par conséquent, l’ensemble des formations, distributions d’équipements, événements et réunions prévus a dû être reporté. Si les activités ont pu reprendre progressivement à partir du mois de juillet, des contraintes subsistent, notamment en termes de rassemblements qui ne peuvent dépasser 20 personnes, et nous obligent à repenser nos activités de formation et de sensibilisation. De façon générale, nous estimons à environ 6 mois le retard pris par le projet du fait de la crise.
L’ensemble des acteur.rices bénéficiant du projet ont été fortement impactés. Les 3 minoteries ont fonctionné au ralenti pendant plus de 3 mois à cause des restrictions des déplacements tandis que les boulangers ont dû faire face à la diminution de l’approvisionnement en farine. Il en va de même pour les femmes transformatrices qui ont surtout été impactées sur la vente de leurs produits, rendue difficile par les mesures de confinement.
Dans la région de Louga, l’ONG des Villageois de Ndem, partenaire de Biofermes Sénégal, a confiné la communauté installée sur le site de la ferme (à Mbacké Kadior), en interdisant les entrées et sorties et en encourageant l’application des gestes barrières. De nombreuses activités prévues ont ainsi dû être suspendues, dont notamment : la formation des animateur.rices par les expert.es externes, le lancement d’un périmètre de production avec 20 familles de la zone, les rencontres du comité de pilotage du projet, les actions de sensibilisation dans les écoles, les visites de groupes scolaires, l’accueil de visiteurs extérieurs, et surtout la finalisation des travaux de forage, permettant à la ferme d’avoir enfin l’eau courante !
Néanmoins, les travaux agricoles au niveau de la ferme ont pu se poursuivre, témoignant de l’importance et de la capacité de résilience apportée par le développement de ces activités. L’équipe sur place s’est ainsi largement renforcée, avec un doublement du nombre de personnes présentes quotidiennement sur le terrain : ce qui a permis d’augmenter fortement le nombre d’activités hebdomadaires entre avril et juin 2020 avec : la plantation et l’arrosage d’arbres, la préparation de compost, le renforcement de la pépinière d’arbre, les tests de germination et le tri des semences, la mise à jour et l’amélioration des outils de suivi des activités, …
Depuis la fin de l’état d’urgence, les travaux de forage ont repris et sont enfin finalisés en un temps record, permettant à la ferme un meilleur approvisionnement en eau potable. Grâce au forage, un périmètre de production maraîchère a pu démarrer et permet aujourd’hui à 20 familles paysannes de se former et de produire en agroécologie paysanne. A termes, ils ont la possibilité de s’installer sur ces espaces.
La période de soudure a été particulièrement difficile mais la fin de l’état d’urgence et la bonne pluviométrie de la saison des pluies en cours redonnent espoir aux populations rurales qui devraient voir leur situation socio-économique et alimentaire s’améliorer dans les prochains mois.
Mettant en lumière les limites des systèmes alimentaires et agricoles actuels et l’importance cruciale de renforcer la souveraineté alimentaire et la résilience des populations rurales et paysannes, cette crise a d’autant plus souligné l’importance de diffuser l’agroécologie paysanne et de privilégier les circuits courts à travers une approche territoriale comme c’est le cas dans le cadre du projet Valoriser les céréales locales. La pandémie et ses impacts multiples a donc d’autant plus légitimé les objectifs de nos projets au Sénégal. Mais elle a également eu de fortes conséquences sur le déroulement de leur mise en œuvre sur le terrain.
Pérou : un projet qui s’adapte
Depuis le mois de mars 2020 au Pérou, les activités du projet Biocacao, de même que toutes les initiatives nationales se voient affectées par la pandémie de la Covid 19. Avec près de 35 000 décès (selon les chiffres de novembre 2020), le Pérou est en effet le pays le plus endeuillé de la planète, par rapport au nombre d’habitants. La situation a conduit le gouvernement péruvien à décréter l’état d’urgence ainsi que des mesures de confinement très strictes à partir du 16 mars 2020. Avec 70 % des actifs dépendant du secteur informel, contraints de travailler quelles que soient les circonstances, et un système de santé insuffisant pour faire face à une telle crise, la situation sanitaire s’est très vite détériorée.
Dans la zone du projet Biocacao, les producteur.rices péruvien.nes sont touché.es de plein fouet par la pandémie et les mesures sanitaires imposées, dont la restriction drastique de leurs déplacements qui impacte leurs activités.
Du fait de l’isolement des populations rurales et de la concentration des actions de soutien gouvernemental dans les villes, l’association Biocacao et la coopérative Colpa de Loros, nos partenaires locaux, ont dû assumer le rôle de protection de leurs membres. Les techniciens de la coopérative ont ainsi été mobilisés pour sensibiliser et distribuer des masques, des médicaments, des kits d’hygiènes et des affiches de recommandation aux familles des 480 membres de la coopérative.
Pour s’adapter, du fait de l’impossibilité de se réunir, les formations des producteur.rices et les visites de suivi ont été assurées au niveau individuel.
Au niveau des centres de collectes du cacao, des protocoles d’action, de prévention et de contrôles ont été mis en place conformément aux directives gouvernementales. Cela a permis à la coopérative de poursuivre la collecte et l’achat de cacao durant toute la période et d’éviter d’interrompre la chaîne de production qui aurait été catastrophique pour les producteur.rices membres dont le cacao est la principale source de revenu. La coopérative a de plus mis en place un système de collecte à domicile pour les membres de plus de 60 ans. Cela n’aurait pas été possible sans les fonds de la coopérative issus de la prime de commerce équitable et du soutien de KAOKA et de Sequa.
Dans ce contexte, de nombreux efforts ont été fournis pour assurer une continuité des activités principales du projet Biocacao qui vise la reforestation et la promotion de l’agroforesterie dans la production de cacao pour le développement durable et l’atténuation des effets des changements climatiques dans la région. Le déconfinement progressif permet de reprendre depuis les activités en respect des mesures encore en vigueur.
France : le modèle des petites fermes paysannes fait ses preuves face à la crise
En raison du confinement, le projet Biofermes (phase 2) a vu son démarrage retardé de plusieurs mois (septembre au lieu d’avril). Les futur.es paysan.nes sont en cours de stage-formation sur le terrain pendant 2 mois, dans 5 fermes en Occitanie et Bourgogne. La saison se prêtant moins bien à certaines activités comme le maraichage, les activités ont été adaptées avec la possibilité de faire une période de formation en automne 2020, puis une période au printemps 2021. Avec ce démarrage plus tardif, les 6 premiers porteur.ses de projet ont été accueilli.es par les fermes et accompagné.es dans de bonnes conditions, par SOL et les Adears (Gers, Ariège et Lozère). Notre équipe prépare dors et déjà la prochaine session du printemps 2021 qui verra le démarrage du compagnonnage paysan.
Dans les Alpes-Maritimes, les acteurs et actrices du projet Maison des Semences Paysannes Maralpines ont pu continuer les activités et ont réussi à s’adapter aux premiers mois de la crise. Des retards sont toutefois à constater même si les paysan.nes ont pu se retrouver dès la fin du confinement, pour des formations et des expérimentations autour des semences paysannes. Le projet a cependant était fortement impacté suite au passage de la tempête Alex, le 2 octobre dernier. Touchant de plein fouet les Alpes-Maritimes, et les vallées où habitent les paysan.nes du projet, les dégâts sont terribles : routes coupées pour plusieurs mois, espaces de cultures ravagés ou emportés, habitations détruites ou endommagés … Dès les premiers jours, avec les partenaires du projet, nous avons lancé un appel d’urgence pour venir en aide à tou.tes les paysan.nes sinistré.es des vallées, concentrant nos forces à leur apporter notre soutien. En conséquence, le projet va prendre du retard dans les mois à venir. Par exemple, en février 2021, un atelier de fabrication de machine de tri des semences était prévu avec Atelier Paysan mais les 2 fermes qui devaient accueillir la formation sont dorénavant inaccessibles, les routes ayant été détruites par la tempête, à l’heure actuelle, nous ne savons pas quand les accès seront rouverts…
Grâce aux contacts presque quotidiens avec nos partenaires, voici les différentes leçons que nous avons apprises de ces derniers mois:
1ère leçon : adaptabilité et résilience des modèles des petites fermes agroécologiques
Le confinement a bien entendu impacté l’activité au sein de nos fermes partenaires. Plusieurs d’entre elles ont dû ajuster leurs modes de vente et de commercialisation dans l’urgence. En effet la fermeture des marchés hebdomadaires ou des restaurants et la forte demande de produits bio et locaux, renforcée par de nouveaux clients cherchant à fuir les supermarchés, les ont amenées à faire preuve de flexibilité et d’adaptabilité pour vendre au mieux leurs productions. Les grandes foires aux plants qui devaient avoir lieu au printemps ayant été annulées, les fermes ont dû organiser une vente sur place au pied levé. C’est leur petite taille, leurs choix tournés vers l’autonomie et la proximité qui leur permettent de faire preuve de résilience et de mettre en place de vrais dispositifs pour s’assurer que leurs productions seront vendues et non jetées ou laissées sur pied, comme cela a été le cas sur certaines grosses exploitations.
De nouveaux circuits courts ont notamment été créés par des associations locales, appuyées parfois par les collectivités (drive paysan, paniers, plateforme d’achat internet, annuaire et cartes pour identifier les producteur.trices, etc.) pour faire face à un engouement grandissant au fil des semaines. Tous nos partenaires sont unanimes : ils/elles n’ont jamais autant vendu que pendant cette crise !
Toutes nos fermes partenaires affirment avoir été confortées dans le modèle d’agriculture qu’elles pratiquent : une agriculture diversifiée, avec des circuits d’approvisionnement comme de vente de proximité, incluant une pluri-activité lorsqu’elles pratiquent l’accueil ou la formation. En ne mettant « pas tous les œufs dans le même panier », elles ont eu les ressources de s’adapter et ont assurément moins subi la crise sanitaire que les exploitations agricoles basées sur l’exportation ou la monoculture. Le bilan économique pour elles a donc été très positif.
De la solidarité entre paysan.nes a également permis de « se passer des carnets de clientèle », de prendre les produits d’un voisin sur son étal pour le dépanner, ou de mutualiser les trajets pour limiter les livraisons chronophages. C’est donc dans la solidarité et l’entraide, et non portées par la concurrence et la défiance, que nos fermes partenaires ont réagi à la crise.
L’appel du gouvernement « des bras pour ton assiette » n’a eu aucun impact sur les fermes partenaires, car il s’adressait largement aux grandes exploitations qui recourraient à de la main d’œuvre saisonnière étrangère largement sous payée. Nos paysan.nes, en ayant choisi l’autonomie que leur permettent la petite taille de leur exploitation et leurs choix techniques, n’ont pas recours à de la main d’œuvre exploitée. Leurs modèles sont encore ici solidaires et éthiques sur le plan des relations de travail où l’entraide et la transmission sont privilégiées : entraide entre paysan.nes, coups de main, stagiaires souhaitant devenir paysan.nes, etc.
2ème leçon : une sensibilisation des citoyen.nes inachevée
Cependant, toutes nos fermes partenaires dressent le même constat infiniment décevant : une fois le premier déconfinement opéré, la grande majorité des nouveaux clients qui ont acheté local, bio, en proximité des paysan.nes, sont revenus à leurs habitudes d’avant la crise et ont cessé de fréquenter ces circuits de vente de proximité. Certains drives fermiers se sont retrouvés face à une baisse drastique de clients, se demandant s’ils devaient fermer. Ce constat soulève des questions en termes de sensibilisation et de prise de conscience de la population. Ce serait la facilité d’achat qui aurait poussé cette dernière à se tourner vers les producteur.trices locaux.les et non nécessairement une réelle prise de conscience qui se serait traduite par un changement d’habitudes de consommation de leur part.
*****
Cette période de pandémie inattendue est terrible et met en danger les communautés rurales à travers le monde. Au-delà du simple contexte sanitaire, l’impact social et économique est déjà dramatique. L’année 2020 n’a pas été simple mais riche d’enseignements : elle montre notamment la résilience et l’adaptabilité des différents acteurs et actrices de nos projets. Elle nous conforte dans la mise en place de nos actions, prouvant s’il le fallait encore, que la transition agroécologique est l’une des réponses aux enjeux actuels. Nous sommes sur le point de rentrer dans une nouvelle année, et SOL et ses partenaires sont bien présents : prêts à agir, se mobiliser, faire germer les projets, comme nous le faisons depuis 40 ans.
Vous aussi, soyez présent ! Soutenez nos actions
*****
Pour aller plus loin :
Lisez notre article « Covid-19 : apprendre de la crise » en cliquant ici
Découvrez les témoignages des paysan.nes touché.es par la tempête Alex dans les Alpes-Maritimes ici
Soutenez nos actions, faites un don ici