Favorisons les petites fermes, favorisons l’humain

Décembre 2017

1 paysan français se suicide tous les 2 jours ! Ce terrible constat s’explique par de nombreux facteurs liés au fonctionnement actuel de notre système agricole. Toutefois, il est intéressant de noter que de nombreux acteurs ont décidé d’agir et de favoriser des alternatives agricoles plus respectueuses de l’Homme, de la Nature et de notre santé. Il est temps de faire le point et de présenter la situation des paysan.ne.s en France et de mettre en valeur les actions mises en place pour faire changer les choses.

Dynamiser nos cultures et démocraties pour les paysans et pour la Terre

Depuis environ 5 000 ans, les petits paysans sont inscrits dans une dynamique culturelle et démocratique pour optimiser leur avenir avec la terre nourricière. Aujourd’hui ils sont victimes de la concurrence déloyale d’un système de F.A.I.M. (filières agro industrielles mondialisées) imposé au plus haut niveau notamment dans le cadre P.A.C.-O.M.C. (politique agricole commune -organisation mondiale du commerce). Oui, « imposé » par les représentants des pouvoirs politiques économiques et financiers- car depuis au moins 30 ans, mème les « Pères » (E.Pisani….) du système en avaient évalué les dérives et ont tenté de le réformer mais sans succès .

Oui, ces petits paysans sont directement victimes de la P.A.C. Puisqu’en 1957, le 1er point de l’article 33 du traité de Rome définissait clairement son objectif : « accroître la productivité de l’agriculture en développant le progrès technique ainsi qu’un emploi optimum des facteurs de production ,notamment de la main d’œuvre ». L’homme et la femme au travail sont donc considérés comme facteurs de production à optimiser – c’est à dire à jeter dès que le progrès le permet. L’efficacité des moyens mis en place pour atteindre ces objectifs a été redoutable puisque depuis : 20 à 30% des paysans disparaissent tous les 10 ans. Les surproductions récurrentes ont contribué à déstructurer, via les exportations à prix dumping, les communautés paysannes de pays du sud ou instaurer une logique de gaspillage alimentaire (30 à 40 %) doublée d ‘une perte de valeur nutritive des aliments produits (avis n° 74 du C.N.A.).

La place du travail humain

Entre les deux stratégies : Agroécologies paysannes et F.A.I.M. (filières agro industrielles mondialisées), il existe au moins deux séries de différences significatives :

  • Le niveau de capitalisation pour améliorer la productivité. Une majorité d’exploitants en F.A.I.M. jouent logiquement avant tout la carte des progrès technologiques, des molécules de synthèse aux O.G.M. en passant par un machinisme optimisé. Il leur faut donc beaucoup et constamment investir pour optimiser les effets « économie d’échelle », c’est à dire : s’agrandir toujours ! Au dépend des voisins.
  • Les paysans cherchent avant tout une répartition équitable des facteurs de production (foncier…) et une régulation solidaire des échanges commerciaux internationaux donc une capitalisation raisonnée (voir principes n°1 et 2 de la charte Agriculture Paysanne de la F.A.D.E.A.R .)

Illustrations  les moyennes du niveau d’immobilisation par exploitation en 2009 (agreste des dossiers n°12 juillet 2011) :
Bovins mixtes : 329 000 euros
Grandes cultures : 213 000 euros
Fruits : 174 000 euros
Maraichage : 140 000 euros

Formes sociétaires (concernant une majorité des plus grosses exploitations)
Évolution de l’actif moyen immobilisé par exploitant de moins de 40 ans.
Entre 2002 et 2012 : 125 000 à 180 000 euros soit + 45 % (source R.I.C.A) alors qu ‘en 2012 la part du foncier pour ces moins de 40 ans était de 147 000 euros pour les plus de 60 ans ! Une des données expliquant les difficultés croissantes d’accès au foncier pour les jeunes petits paysans !

  • Les stratégies de valorisation du travail humain pour les petits paysans : il s’agit de produire, en cohérence avec leur environnement naturel et social, des aliments diversifiés de qualité optimale pour les vendre en circuits courts pour garder la valeur ajoutée en créant du lien social.
  • Pour les exploitants : il s’agit donc de gros volumes de produits de la qualité minimale normalisée vendus au FAIM de la transformation, grande distribution ou de l’import-export. Pour eux se pose une question vitale : la répartition de la valeur ajoutée qui de manière cyclique alimente les tensions et débats comme actuellement au cœur des E.G.A.

La préservation de l’usage des outils politiques agricole et alimentaire

Le système de F.A.I.M. est très gourmand en capital financier,la P.A.C.l’a donc satisfait avec ses 2 outils complémentaires :

  • A.P.A.A. (aides publiques agricoles et alimentaires) : Une panoplie d ‘aides directes et indirectes
    Les 4 exemples les plus marquants illustrant la discrimination entre « petits paysans » et « exploitants » organisée par les pouvoirs publics :exemple
  • Aides Directes :
    1er pilier de la P.A.C. (qui correspond à 80 % du budget)
    Depuis 1992 elles sont distribuées à l’ha et sans plafond par actif sur la base d’une moyenne de
    300 euros /ha.

Exemples :
maraichers + ou -2 ha /actifs =300×2=600 Euros
grande culture (agrocarburant) +ou- 100 ha /actif =300×100=30 000 euros
2ème pilier de la P.A.C. Avec un budget d’aide à l’investissement pouvant atteindre 40 % pour l’achat de certains matériels (épandage de précision pour les pesticides…)

  • Aides indirectes :
    Niches fiscales : plusieurs rapports (2000-2010) dont un de la cour des comptes ont dénoncé l’évaporation de l’assiette fiscale notamment via des « niches » légales.
    Le tout pouvant atteindre jusqu’à la moitié (près de 6 milliards échappant aux prélèvements fiscaux et sociaux) du revenu de la ferme FRANCE : + ou – 1,2 milliards alors que le budget PAC France était d’au moins 10 milliards !

Exemples :

Défiscalisations accordées par l’état aux industriels pour transformer les produits agricoles en agrocarburant .
Montants moyens liés aux rendements/ha :
Colza : 700 euros/ha
Blé : 1400 euros/ha
Betterave sucrière: 3200 euros /h

  • A.C.I et A.P.E (accords de commerce international -accords de partenariat économique) : ignorants les droits universels 
    Le diagnostic puis les conseils les plus pertinents concernant la gestion de ces accords sont à mon avis ceux du CELT repris par le manifeste  de Michel Serres « Pour une exception agricole et écologique ». L’OMC superviseur de ces outils ne reconnaît que le droit des affaires. Il ignore les autres : droits humains, droits du travail, droits de l’environnement. Il faut donc revenir aux orientations de la charte de la Havane qui dès 1948 recommandait d’organiser une exception dans le cadre du G.A.T.T. devenu O.M.C. pour la régulation du commerce des biens nécessaires à la satisfaction des besoins vitaux donc d’abord eux issus de
    l’agriculture.

Dans un tel contexte on ne s’étonnera pas de constater que :

  • En France et en Europe nos fruits et légumes sont chers ( ils nécessitent 5 à 7 fois plus de temps de travail à l’ha)
  • Ces derniers manquent de maturité donc de goût et valeurs nutritives.
  • L’ offre de produits en agriculture biologique reste inférieure à la demande d’où mes 20 à 40 % de produits importés en France.
  • Trop de candidats à l’installation en agroécologie paysanne sur des petites surfaces sont victimes de la triple peine : la discrimination en matière de soutiens publics, la difficulté d’accès au foncier, l’exclusion aux droits à la retraite agricole et du processus démocratique professionnel (élections M.S.A. et chambre d’agriculture ) puisque réduits au statut de cotisant solidaire, qui en 2015 concernait encore 54 356 petits paysans de moins de 60 ans (synthèses-avril 2016 l’observatoire économique et social de la M.S.A).

Cette situation est d’autant plus inacceptable que, pour le Droit à l’alimentation , Jean Ziegler qualifie la F.A.I.M. « agrocarburant » de crime contre l’humanité et Olivier de Schutter démontre que la meilleure réponse contre la faim et pour l’environnement est dans les pratiques d’agroécologie paysanne. En matière de valeur nutritive des aliments issus de l’agriculture biologique sont les plus performants. Enfin, pour la question sociale l’agriculture biologique est aussi reconnue comme la meilleure réponse puisqu’elle crée 20 à 50 % d’emplois de plus que l’agriculture conventionnelle (avis 74 du C.N.A. mars 2015 : le bio en France)

A chacun sa part du colibris

En attendant que nos états, l’Europe et l’O.N.U. se réorganisent pour vraiment assumer leurs missions de défense pour l’intérêt général, la société civile poursuit son organisation en réseaux culturels et démocratiques pour promouvoir les alternatives innovantes.

Le projet BIOFERMES de SOL s’intègre dans cette dynamique de manière très pertinente. Il se construit dans le cadre d’un partenariat le plus large possible avec les autres acteurs déjà impliqués dans cette voie alternative de formation et d’aide à l’installation en agriculture paysanne pratiquant l’agriculture biologique, l’agroécologie, la permaculture et le M.S.V.(maintien du sol vivant) son caractère innovant réside dans le fait qu’il agit simultanément au Nord et au Sud avec les mêmes objectifs et méthodes.

Ce projet va permettre :

  • Aux hommes et aux femmes désireux de construire leur avenir en se reconnectant avec la Nature de se former et s’installer pour produire et vendre des aliments de la meilleure qualité possible.
  • A de nombreux professionnels de la formation ou de l’accompagnement à l’installation de mieux se connaître pour ensemble amplifier la dynamique.
  • De participer au nécessaire rapprochement des agriculteurs conventionnels avec ceux de l’agriculture biologique, de la permaculture ou du M.S.V etc.
  • A des consom’acteurs des réseaux MIRAMAP…aussi désireux de cette reconnexion avec la Terre en créant des liens directs avec des paysans pour leur acheter des aliments garantissant au mieux leur santé.
  • De démontrer que partant sur la planète, les mêmes causes produisent les mêmes effets et que la réconciliation de l’humain avec son environnement et générateur de la même « Joie De Vivre Au Pays ».
  • Aux élus de notre démocratie représentative, non concernés par les conflits d’intérêt avec ces FAIM,de nous montrer leur bonne volonté en soutenant notre processus de « démocratie participative » en réorientant radicalement les outils de politique agricole et alimentaire .

N’oublions pas de saluer aussi des contributions déjà majeures :

  • Des journalistes engagés qui nous proposent des reportages sur l’état des lieux ou les différentes expériences innovantes.
  • De scientifiques et agronomes qui nous font partager les résultats de leur travail ou leurs scénarios d’avenir.
  • R.A.C (Réseau Action Climat) « des gaz à effet de serre dans mon assiette »
  • C.I.W.F « une politique durable pour l’Europe
  • SOLAGRO « afterre 2050 »

Des multiples ONG seules ou en réseau qui parfois depuis plus de 30 ans dénoncent et proposent des alternatives.

Article écrit par Jacques Godard, paysan bio en Normandie, militant au sein de la Confédération Paysanne et co-président de l’association SOL