Entretien avec Vandana Shiva, créatrice de changement
Vandana Shiva, leader de la campagne pour la liberté des semences, était parmi nous le 9 novembre 2015 pour la Journée sur la transition agricole citoyenne. Elle nous livre ici ses impressions sur la prise en compte du rôle de l’agriculture dans l’atténuation du changement climatique et sur la responsabilité des citoyens pour faire émerger une alternative agricole durable.
1. Quels sont vos sentiments vis-à-vis de la COP21 ? Espoir ? Scepticisme ? Cynisme ?
Je ne laisse jamais le scepticisme et le cynisme entrer dans ma vision des choses, je préfère toujours penser et agir avec espoir, pour construire des actions positives. Nous avons planté un jardin de l’espoir en novembre dans le 11e arrondissement de Paris et nous en planterons un nouveau en décembre. Il est plus que jamais nécessaire de multiplier ces actions citoyennes pour montrer à nos dirigeants que de réelles solutions aux changements climatiques existent et que les peuples du monde s’unissent pour les mettre en place.
2. Pensez-vous que les thématiques liées au sol et aux semences ont la reconnaissance qu’elles méritent à l’échelle internationale, comme par exemple dans le cadre des négociations pour la COP 21 ?
Non, malheureusement pas. Je pense que les sols et les semences ont été les grands absents de tous les sommets sur le changement climatique alors que ce sont précisément eux qui sont à la base de la régulation et du maintien de nos écosystèmes. L’agriculture industrielle dans son ensemble (de la production des semences, au transport des denrées et à leur commercialisation) est responsable de 40% des émissions de gaz à effet de serre. Face à ce problème, certains font l’apologie de l’agriculture intelligente face au climat qui n’est malheureusement pas une solution car elle ne remet pas en cause les problèmes à la base d’une agriculture qui n’est pas durable ni pour l’homme ni pour l’environnement dont il fait partie. Il est nécessaire de clarifier le rôle des sols et des semences dans la régulation de nos écosystèmes et dans leur intégration à l’ensemble de notre système économique et social. Face au pouvoir des multinationales, il est impératif de reconnaitre l’importance des petits paysans qui ont le savoir pour maintenir un sol et des semences sources de vie, de travail et de nourriture pour l’ensemble de la planète.
3. Selon vous, pourquoi la société est-elle encore si peu au fait de ces problématiques ? Est-ce dû à un manque d’informations ?
Cela n’est pas tellement dû au manque d’information mais surtout à la désinformation. On veut nous faire croire que pour atténuer le changement climatique il faut seulement se concentrer sur le nombre de particules par millions dans l’atmosphère et sur le développement des énergies renouvelables. En faisant cela, nous oublions de considérer le rôle majeur qu’à l’agriculture dans les émissions de gaz à effets de serre et de l’incroyable levier que peut être l’agro écologie dans l’atténuation du changement climatique. C’est en mettant en place la transition vers une agriculture écologiquement et socialement responsable, qui s’appuie sur la force de travail des petits paysans que nous aurons l’impact le plus grand face au changement climatique. L’agriculture a trop souvent été dénigrée par nos dirigeants, il faut aujourd’hui lui redonner de la valeur et réfléchir à des solutions qui ne sont pas unidimensionnelles, mais pluridimensionnelles et qui intègrent l’ensemble des éléments impliqués dans la régulation de notre écosystèmes (le sol, la terre, l’eau, les plantes, les microéléments, etc). L’agroécologie est la solution.
4. Comment les citoyens peuvent-ils agir ?
Les citoyens ont le devoir d’agir. Ils ont un rôle énorme à jouer dans la transition vers une agriculture citoyenne. Tout d’abord, il appartient à chacun de reconnaitre sa responsabilité personnelle et son engagement envers la Terre. J’invite notamment chaque personne qui se reconnait dans ce message à signer le Pacte pour la Terre que nous avons lancé ce mois-ci. Deuxièmement, nous citoyens, pouvons choisir d’aider au développement de l’agroécologie et à l’atténuation du changement climatique en orientant nos choix de consommations vers des produits issus d’une agriculture biologique et de proximité. Nous pouvons agir en participant au soutien de l’agriculture locale via des réseaux tels que celui des AMAP en France mais également en dénonçant l’utilisation de nos taxes reversées sous forme de subventions massives pour l’agriculture industrielle qui n’est durable ni pour ses travailleurs, ni pour ses consommateurs, ni pour notre environnement. Le budget que nos gouvernements allouent chaque année au renforcement de leurs armées devrait être réorienté vers le soutien à une agroécologie source de vie et de paix.
5. Pensez-vous que nous allons vers la reconnaissance légale des semences et des sols ?
Nous avons bien avancé sur cette thématique, notamment grâce à la campagne mondiale Seed Freedom qui vise à promouvoir la reconnaissance légale des semences et des droits des paysans. Nous avons atteint de grandes réussites dans ce domaine particulièrement en Inde où j’ai pu jouer un rôle majeur cependant il nous faut encore redoubler nos efforts partout dans le monde car il reste encore beaucoup de combats à mener pour créer une autre jurisprudence qui reconnait les droits de la nature et ceux des paysans.
6. Monsanto a eu quelques ennuis au cours des mois passés (intoxication d’un agriculteur français qui a gagné son procès contre la firme, et la création d’un label “cancérigène en Californie pour certains produits de Monsanto).
Allons-nous arriver vaincre Monsanto et le système qu’il représente? Comment?
Je pense que Monsanto va se détruire lui-même, sans notre aide! La multinationale a forgé son empire sur des fausses promesses, des technologies qui sont de véritables échecs et des solutions qui ne sont durables à aucune échelle. Ils ne peuvent espérer continuer ainsi indéfiniment. Notre agriculture est vieille de plus de 10 000 ans, ils n’existent dans ce domaine que depuis 30 ans. Ils n’ont pas encore retenu les leçons de leur échec sur l’agriculture et sur la vie mais ils seront vite rattrapés par leurs erreurs. Finalement, nous devons garder nos esprits concentrés sur la construction d’une alternative agricole basée sur le maintien de la biodiversité, de la vie et sur la production d’une alimentation saine et responsable. Ne laissons pas nos cœurs se noircir de haine en ces temps de souffrance mais faisons rayonner la paix, l’amour et l’espoir.
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