Entretien avec Jon Palais: La non-violence pour une construction collective
Jon Palais est militant climat. Membre actif de l’association Bizi (« vivre » en basque), il est également un des co-fondateurs d’Alternatiba, et d’ANV-COP 21, un mouvement populaire d’action non-violente né quelques semaines avant le Sommet de Paris sur le Climat. A l’occasion de l’apéro thématique de SOL sur la protection des ressources naturelles et de l’environnement, Jon est venu échanger avec nous sur son principe d’action fondé sur la non-violence. Rencontre.
- Peux-tu nous expliquer en quelques mots en quoi consiste une action non-violente ?
L’art de la non-violence consiste à poser un conflit et à le résoudre en faisant en sorte qu’il ne dégénère pas en violence, la sortie doit être constructive. Gandhi a défini ainsi « le test ultime de la non-violence » comme « un conflit qui se termine sans rancœur, où les ennemis deviennent des amis ».
Le respect des adversaires est fondamental dans l’action non-violente. Car nous voulons faire changer non seulement les rapports de force, mais aussi les rapports de conscience. Et pour cela, la force de persuasion est un aspect fondamental de l’action non-violente. Or nous ne faisons pas changer quelqu’un d’avis si nous n’entretenons pas un rapport respectueux avec cette personne.
L’action non-violente demande de la préparation et de la pratique. La réaction la plus spontanée quand on subit une violence est de répondre par la violence. Pour éviter des réactions spontanées qui enclencheraient un cercle vicieux de la violence, il faut donc s’exercer à réagir autrement, à désamorcer les tensions et à gérer les conflits de manière non-violente. Pour autant nous ne pouvons pas prévoir ce qui va se passer, car il s’agit de relations humaines, il y a donc une part importante d’improvisation dans l’action non-violente. La préparation à l’action non-violente peut se faire par des entraînements à des techniques, mais elle ne peut se passer d’une véritable conviction avec laquelle nous pouvons toucher la conscience de gens, et d’une vraie foi dans les capacités de chacune et de chacun à changer.
- En quoi la non-violence constitue-t-elle une stratégie globale ?
La non-violence est une stratégie globale dans le sens où elle parvient à impliquer le plus grand nombre : non seulement des militants mais plus largement, la population. Et pour cela, l’action non-violente tire son efficacité de la diversité des formes d’action qui permet à différents publics de participer. La non-violence peut ainsi consister à mener des actions d’opposition, de résistance, d’interposition, mais aussi des actions de sensibilisation, des rassemblements sans risque de confrontation, ainsi que des actions de non-coopération (comme le boycott) ou des actions constructives. Ces différentes formes d’actions sont complémentaires et peuvent s’articuler au sein de campagnes communes.
- Pourquoi avoir choisi de s’engager dans une contestation radicale mais non-violente du système économique et social ?
Certaines personnes s’engagent dans la bataille pour le climat car elles sont alarmées par la destruction de l’environnement et des équilibres écologiques planétaires, alors que d’autres peuvent y venir parce qu’elle veulent réagir aux injustices sociales, ou aux dysfonctionnements démocratiques par exemple. Ces enjeux, qui peuvent sembler différents, convergent en réalité dans la bataille climatique. Le système capitaliste actuel détruit l’environnement en même temps qu’il détruit le lien social, qu’il accroît les inégalités sociales, qu’il diminue la démocratie et qu’il menace la paix. La question environnementale ne peut pas être déconnectée des questions de justice sociale, de paix et de démocratie.
Dans cette optique, l’action non-violente est un choix stratégique. Chez Alternatiba et ANV-COP21, nous avons conscience que pour relever le défi climatique, il faut transformer en profondeur tout notre mode de vie. Nous pensons que le changement peut venir d’un mouvement citoyen populaire de masse, et nous nous inspirons des mouvements non-violents historiques et des actions exemplaires de figures de la non-violence comme Gandhi ou Martin Luther King.
- Comment convaincre la société civile de l’importance et de l’efficacité de l’action non-violente ? Comment communiquer sur la non-violence pour informer les citoyens ?
Je crois que l’on convainc le mieux par la pratique. La théorie de l’action non-violente est assez compliquée à expliquer. Par contre, une action bien menée peut être très facile à comprendre. Je pense qu’il peut y avoir une compréhension intuitive de la non-violence à travers les actions qui ont une vraie force de conviction. Lors des manifestations du 15-M à Barcelone, j’ai été frappé par la maîtrise de la non-violence des Indignés (nom donné aux manifestants du 15-M). Malgré une répression policière brutale, les citoyens n’ont pas répondu à la violence par la violence. Ils ont compris que cela les entraînerait dans une spirale infernale et qu’ils prendraient le risque de discréditer leur propre mouvement. C’est alors la violence et l’attitude injuste du gouvernement qui a éclaté au grand jour, et cela a d’autant plus renforcé le mouvement du 15-M qui s’est multiplié de plus belle après cet épisode de répression. Si la violence peut avoir le dessus au niveau physique, elle peut également se retourner contre celui qui l’exerce et le décrédibiliser moralement.
Pour bien communiquer sur la non-violence, il faut d’abord affirmer clairement que l’on est un mouvement non-violent. Ensuite, il faut préciser les critères et les principes que l’on va suivre, puis organiser des formations et pratiquer. Il y a des choses que nous ne comprenons que par la pratique. Quand, au cours d’une action, on sent que le regard de la personne en face de nous change, que le mépris et la colère ont laissé place au dialogue et au respect, nous comprenons ce qu’est la vraie force de persuasion de l’action non-violente. Cette expérience forge une véritable conviction de la non-violence.
- En avril 2016, la perturbation du sommet du pétrole à Pau a bénéficié d’un grand écho médiatique, as-tu observé des changements, une prise de conscience au sein de la société civile ou dans le monde politique ?
Ce sommet pétrolier s’est déroulé quatre mois après la COP21 et allait à l’encontre des décisions qui avaient été prises par les chefs d’Etats du monde entier. Il était important de réagir. Nous voulions mener une action qui traduise l’anormalité de la situation climatique, alors que le discours officiel des dirigeants, qui se félicitent d’avoir conclu un accord international, a tendance à rassurer les gens. Pourtant, cet accord, puisqu’il n’est pas juridiquement contraignant, n’est qu’une petite partie de la solution et ne permet, en tant que tel, de régler le problème climatique.
Cette action de blocage du sommet pétrolier à Pau a déclenché un débat au niveau local entre les deux députés de la région, sur la place du pétrole dans l’économie, et a incité Ségolène Royal a annoncer un moratoire sur la recherche d’hydrocarbures en Méditerranée.
Deuxièmement, à mesure que nous empêchions les représentants pétroliers d’entrer, nous discutions avec eux. Certains étaient embarrassés et comprenaient la contradiction qu’il y avait alors que ça ne les interpellait pas jusque-là. Ce sont de petites victoires, l’industrie pétrolière ne vas pas changer du jour au lendemain mais cela nous permet de comprendre que les mentalités peuvent évoluer.
Enfin, nous avons beaucoup discuté avec des policiers. Les conditions de dialogue n’étaient pas possibles au début, la riposte policière était violente au départ, en réaction à notre intrusion sur le site et au blocage des entrées. Mais comme aucun de nous ne répondait à la violence par la violence, les forces de l’ordre ont fini par arrêter eux-mêmes d’utiliser la violence contre nous, et nous avons pu engager le dialogue avec eux. Les policiers ont un devoir de réserve, le plus souvent, ils ne répondent pas, mais ils entendent ce qu’on dit et ils comprennent bien que certaines choses vont de travers. C’est ainsi qu’un policier en fonction pendant une mobilisation de Nuit Debout à Paris, discutant avec un militant, lui a lui-même parlé de ce qui s’était passé à Pau car un de ses collègues lui en avait parlé. La conscientisation se poursuit même après que l’action sur le terrain a pris fin.
Ce n’est que le début, c’est encore David contre Goliath mais nous avons le sentiment de poser les bonnes bases, de prendre la bonne orientation parce qu’il y a ces petits signaux-là.
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BONUS
- Une anecdote à partager ?
Avec Bizi, nous avions mené une campagne d’actions au Pays basque pour relayer une campagne initiée par les Amis de la Terre et Attac contre la Société Générale. Cette banque voulait financer un projet de mine de charbon géante en Australie, appelé Alpha Coal. À terme, le projet devait émettre 1,8 milliard de CO2 dans l’atmosphère.
Lors de notre première action, le Directeur régional avait manifesté son agacement contre notre action qui dénonçait les agissements irresponsables de la banque au niveau écologique, ce qui lui paraissait injuste. C’était le temps de l’incompréhension. Il n’était pas au courant du projet Alpha Coal. Au fil des actions et après plusieurs rendez-vous, il a fini par nous dire qu’il respectait notre mode d’action, qu’il appréciait l’attitude respectueuse que nous avions vis-à-vis des employés et des clients de la banque. Et nous le sentions de plus en plus à l’écoute et concerné par la cause climatique que nous mettions en avant. Une prise de conscience avait commencé au niveau local dans cette agence de Bayonne. Mais au niveau national, la Société Générale avait refusé de se retirer du projet. Nous avons alors annoncé une nouvelle campagne d’actions d’un an, qui irait du sommet de l’ONU sur le climat de Lima en 2014 au sommet pour le climat de Paris de 2015.
Cette campagne devait dénoncer les agissements de la Société Générale et la présenter comme « l’ennemi numéro un du climat ». Nous leur avions expliqué le contenu et l’objectif de cette campagne dans une lettre, en toute transparence, en précisant l’image négative que ces actions allaient renvoyer de la banque. Après une nouvelle action d’occupation d’une agence pour lancer la campagne, une série d’actions était annoncée dans une dizaine de villes en France. C’est alors que la veille de ces actions, la Société Générale a contacté en urgence les différentes organisations participant à ces opérations (Bizi, les Amis de la Terre, Attac) pour nous annoncer qu’ils s’étaient finalement retirés du projet Alpha Coal. Le lendemain, nous nous sommes tout de même rassemblés à Bayonne, sans mener l’action prévue, mais pour manifester notre satisfaction d’avoir obtenu victoire. Je suis allé voir l’un des directeurs d’agence qui était venu observer l’action et je lui ai demandé ce qui avait poussé précisément la Société Générale à se retirer du projet. Il m’a répondu que cette campagne avait créé un vrai malaise au sein de la Société Générale, que les employés ne se sentaient pas en phase et n’assumaient pas ce projet Alpha Coal, qu’ils ne connaissaient pas et qu’ils avaient découvert grâce à nos actions.
Quand je lui ai demandé si le retrait du projet était lié plus précisément au risque d’image pour la banque, il m’a répondu : « ce n’est pas que ça, les dirigeants, eux aussi, ont des enfants ». C’est un bon exemple de la capacité de l’action non-violente à peser à la fois sur les rapports de force et sur les rapports de conscience. Cela nous montre qu’il y a beaucoup plus de gens que nous ne l’imaginons qui peuvent s’engager dans la bataille du climat dès lors qu’ils comprennent réellement ce qui est en train de se passer, même chez les personnes que nous pourrions considérer comme des adversaires. La force de persuasion est l’outil le plus puissant de la démarche non-violente.
Interview et article réalisés par Tiphanie, membre bénévole au sein du groupe Education, Sensibilisation & Alternatives Citoyennes »