Analyse du projet de Loi d’orientation agricole : le gouvernement piétine son propre objectif de renouvellement des générations agricoles
Communiqué de presse, le 3 avril 2024
Le Ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire présentait ce matin en Conseil des Ministres le projet de loi d’orientation agricole, qui doit entre autres “donner un nouveau souffle à notre politique d’installation” pour concourir à la souveraineté agricole. Une énième version qui, dans les faits, achève de démontrer que l’ambition d’une grande loi en faveur du renouvellement des générations agricoles n’était qu’un affichage. Plus de 14 000 fermes ont disparu sur nos territoires depuis le lancement officiel du processus PLOAA par Emmanuel Macron il y a 18 mois. Le gouvernement ne cherche plus à éviter l’hémorragie : rien dans le texte ne permettra d’éviter que dès 2030, nous passions sous la barre des 400 000 agriculteurs (contre 496 000 en 2020). La suite du processus est dans les mains des parlementaires qui examineront le texte à partir du 13 mai à l’Assemblée Nationale. Ils ont du pain sur la planche pour que le contenu de la Loi qui sera finalement adoptée permette d’atteindre ses propres objectifs. Nos organisations sont mobilisées auprès des parlementaires pour accompagner ce chantier !
Une constante depuis le lancement du PLOAA : consensus sur les constats ; dissensus sur les solutions
Observant sur le terrain depuis des années les enjeux que soulèvent la crise démographique agricole et les écueils actuels des politiques publiques pour faciliter l’installation d’agriculteurs et agricultrices nombreux sur les territoires, nos organisations ont salué le lancement, en septembre 2022, d’un processus visant notamment à réformer les politiques de soutien et d’accompagnement à l’installation et à la transmission. Un besoin largement partagé par la diversité d’acteurs engagés en ce sens sur les territoires, comme ont pu le mettre en lumière les concertations nationales et régionales organisées en 2023. Réforme du parcours à l’installation, nécessité d’accompagner les transmissions, ouverture à la pluralité des acteurs… tous les enjeux clés ont bien été mis sur la table.
Dans le pacte présenté en décembre 2023 et le projet de loi proposé au Parlement, le gouvernement réaffirme l’intention de répondre aux enjeux de renouvellement des générations agricoles et de transition écologique, et assure y apporter les réponses nécessaires et suffisantes. L’expérience de nos réseaux nous permet d’affirmer qu’au contraire, la loi est loin du compte.
Des politiques d’installation-transmission qui n’en ont plus que le nom
Pour commencer, le projet de loi redéfinit entièrement les objectifs des politiques d’installation et de transmission en agriculture. Exit le renouvellement des générations agricoles en objectif principal, celui-ci n’est plus qu’un moyen pour assurer la compétitivité de l’économie française et « répondre aux enjeux » de transition écologique, sans préciser comment.
Nul besoin donc de fixer un cap sur le nombre d’agriculteurs dont la France a besoin. En creux, qu’importe sous quel statut et comment les terres agricoles sont exploitées, pour peu que celles-ci produisent aliments ou énergie en quantité pour contribuer à la «souveraineté agricole» de la France. A lecture de son contenu, nos organisations questionnent donc le titre même du projet de loi (renouveler les générations agricoles), et dénoncent une définition qui va à l’encontre des besoins réels de nos territoires.
La transition écologique et climatique, fantomatique
Le soutien et l’accompagnement à la transition agroécologique du secteur sont également relégués au dernier plan du projet de loi. Nos organisations soulignent de longue date que l’installation et la reprise des milliers d’exploitations à transmettre dans les années à venir sont pourtant de formidables opportunités pour engager et accompagner la transition du secteur agricole.
Au-delà de faibles intentions, qui semblent posées pour faire mine que cet aspect n’est pas oublié, le projet de loi ne fait l’objet d’aucune mesure concrète pour favoriser le développement de pratiques agroécologiques et biologiques et soutenir des nouvelles installations qui vont dans une direction cohérente avec les objectifs de transition.
Une réforme timide des parcours d’accompagnement à l’installation-transmission, qui rate sa cible
Concernant l’accompagnement à l’installation-transmission, l’article 10 constitue le plat de résistance de ce projet de loi. Cet article, dans sa forme actuelle, suscite de fortes inquiétudes. En effet, les mesures annoncées ne permettent pas de garantir que les modalités d’organisation et de fonctionnement du futur parcours assureront le pluralisme dans le pilotage et l’animation des futurs dispositifs d’accompagnement. Ce, alors que la consécration de ce principe a été maintes fois soulignée comme axe de réforme fondamental pour un parcours national de préparation à l’installation et à la transmission efficace. [1] A contrario de son objectif initial, en l’absence de mécanismes de contrôle et de garantie d’une gouvernance partagée, ce futur parcours pourrait mettre de côté toute une partie de l’écosystème de l’accompagnement et rebuter des candidats qui ne souhaitent pas se tourner vers les Chambres d’agriculture.
Depuis le lancement du processus, nos organisations proposent une refonte complète du parcours à l’installation-transmission et de ses instances de gouvernance, pour permettre l’existence d’une pluralité de parcours complémentaires, à même d’accompagner au mieux la diversité des candidats qui se présentent aujourd’hui à nous, et de mieux accompagner les installations en agriculture paysanne et biologique (voir notre CP du 21 février).
Une réforme foncière écartée, ou comment passer à côté du sujet
Le gouvernement français a pris la décision de privilégier le recours au portage foncier pour répondre aux besoins de renouvellement des générations agricoles. Cependant, cette approche nécessite une réflexion approfondie et des mesures concrètes pour garantir son efficacité et son alignement sur les objectifs de transition écologique et de soutien aux agriculteurs et agricultrices.
A ce titre, le recours au Groupement Foncier Agricole-Investissement (GFA-I) soulève des préoccupations. Comme le souligne Terre de Liens dans son communiqué, aucune disposition ne permet d’orienter ce dispositif vers des projets soutenant la transition écologique, la souveraineté alimentaire ou le renouvellement des générations.
Enfin, le portage foncier ne suffira pas à lui seul à répondre aux défis actuels. Il est nécessaire d’activer d’autres leviers, notamment en renforçant la régulation foncière. La coalition “Installons des Paysans” propose plusieurs pistes d’action, telles que la création d’un observatoire du foncier agricole, le renforcement des SDREA, et l’harmonisation des différentes réglementations.
Flou sur les diagnostics, (trop) petit pas pour le test d’activité…du chemin reste à parcourir
Pour le reste, une reformulation de l’article sur la création des diagnostics pour le moins floue, qui semble marquer un recul sur les ambitions à ce niveau et qui omet de tenir compte des recommandations de nos organisations, qui proposent pourtant des outils déjà très opérationnels et qui insistent sur le fait que ces diagnostics doivent constituer des outils d’accompagnement et non d’évaluation.
Le droit à l’essai est timidement reconnu, comme modalité d’installation progressive. Nos organisations rappellent que le test d’activités agricoles, plébiscité lors des concertations sur le PLOAA, a fait ses preuves, mais est encore aujourd’hui confronté à de nombreux obstacles qu’il faudrait lever pour favoriser son déploiement. L’efficacité du dispositif du test d’activité et son utilité pour les porteurs de projet a été souligné à maintes reprises [2] et aurait nécessité sa reconnaissance dans la loi.
Tous ces éléments doivent être précisés et complétés par voie réglementaire, sur la base de groupes de travail en démarrage (comitologies sur FSA, diagnostics, droit à l’essai, baux ruraux). Si certains acteurs considèrent que les points à traiter dans ces espaces sont limités, nos organisations insistent : beaucoup reste à faire sur l’opérationnalisation de ces outils et services, pour des parcours efficaces et adaptés aux besoins d’accompagnement à la création et transmission d’activités viables, vivables et durables.
En complément à notre mobilisation dans ces espaces, l’amendement de la loi est indispensable. Les recommandations concrètes de nos organisations sont détaillées dans cette note.
L’alternative est aux mains des parlementaires !
Plus de 14 000 fermes ont disparu sur nos territoires depuis le lancement officiel du processus PLOAA par Emmanuel Macron il y a 18 mois, en septembre 2022. Si le projet de loi était adopté en l’état, nous ne pourrons éviter la poursuite de l’hémorragie, et dès 2030, nous pourrions passer sous la barre des 400 000 [3] agriculteurs et agricultrices (contre 496 000 en 2020).
Nous attendons des parlementaires qu’ils et elles adoptent les amendements nécessaires pour que la loi permette d’atteindre ses propres objectifs. Et le répétons : sans paysannes et paysans nombreux, la transition agroécologique et le développement de systèmes alimentaires durables resteront des vœux pieux.
[1] Concertations nationales et régionales, rapport du CGAAER (2023), Avis du CESE (2020).
[2] Rapport du CGAAER (2023), Avis du CESE (2020)…
[3] Terre de Liens (2023), Le portage de foncier agricole : levier pour une agriculture en transition ?
Contacts presse :
- Salomé Le Bourligu, responsable des partenariats et du plaidoyer installation, SOL : 07 70 41 47 82
- Astrid Bouchedor, responsable de plaidoyer, Terre de Liens : 07 67 73 22 90
- Paul Reder, président, FADEAR : 06 76 41 74 18
- Florent Sebban, co-porte parole, MIRAMAP : 06 50 06 65 98
- Denis Lépicier, vice-président, Réseau CIVAM : 06 04 08 38 22
- Alan Testard, secrétaire national installation-transmission, FNAB : 07 49 64 22 05
- Jean-Baptiste Cavalier, coordinateur national, RENETA : 06 78 53 45 58