Témoignage : Yaye Mbayang Touré nous parle du projet Valoriser les céréales locales au Sénégal

Juin 2022

Depuis 2011, SOL agit avec ses partenaires au Sénégal pour la souveraineté alimentaire des populations. Aujourd’hui, c’est à travers le projet Valoriser les céréales locales que nous agissons dans les régions de Thiès, Kaffrine, Kaolack et Diourbel avec notre partenaire : la FONGS-Action Paysanne. A l’occasion de notre dernière rencontre avec nos partenaires,  nous avons interviewé Yaye MbayangTouré, la responsable suivi-évaluation de la FONGS-Action Paysanne. Découvrez son témoignage sur son travail et les actions menées au Sénégal.

SOL – Pouvez-vous vous présenter ?

Photo trombi Mbayang TouréJe suis Madame Sow, Yaye Mbayang Touré, je travaille à la FONGS-Action Paysanne comme responsable suivi-évaluation et je coordonne aussi l’ensemble des activités liées au plan stratégique de l’organisation et des différents projets.

SOL – Pouvez-vous présenter la FONGS-Action Paysanne ?

La FONGS-Action Paysanne est la fédération des organisations non gouvernementales du Sénégal, qui regroupe 34 organisations paysannes dans tout le Sénégal. La FONGS a été créée en 1976 et reconnue comme ONG en 1978. Elle a été créée par 7 organisations paysannes (OP), et elle en compte aujourd’hui 34. Nous travaillons sur la promotion de l’agriculture familiale et la transformation des exploitations familiales dans le milieu agricole. C’est une vision politique et économique paysanne pour construire autrement le futur du mouvement paysan. La structure repose sur quatre types d’économies : une économie de promotion, une économie profitable aux exploitations familiales, une économie durable qui respecte la gestion durable des ressources, et enfin une économie équitable.

SOL – À quel défis répond le projet Valoriser les céréales locales ?

C’est un double, voire un triple défi ! Il s’agit d’abord de créer une filière pérenne et reproductible des céréales sèches (mil et maïs) pour avoir une valeur ajoutée sur la production céréalière. Deuxièmement, l’enjeu est de diminuer au maximum l’importation de céréales, et notamment celle du blé. Les importations de blé représentent 40 à 50 milliards de FCFA [ soit entre 60 millions et 75 millions d’euros] par an  ! Le troisième défi est de créer une économie locale et durable au profit des exploitations familiales que ce soit les producteurs, les transformateurs et les consommateurs.

SOL – Pourriez-vous nous en dire plus sur le contexte d’action dans les régions de Thiès, Kaffrine, Kaolack et Diourbel ?

C’est le bassin arachidier. Le Sénégal contient 6 zones agroécologiques dont le bassin arachidier, qui se caractérise par la pauvreté des sols et la dégradation des ressources naturelles. C’était la zone test pour les engrais chimiques au Sénégal, ce qui fait que les sols sont très dégradés. La pluviométrie y est aussi très faible, avec entre 500 et 600 mm de pluie seulement, et la nappe est très profonde donc les producteurs n’ont que l’hivernage pour travailler. C’est une zone difficile pour les activités agro-sylvo-pastorales. C’est pourquoi il est important de diversifier les emplois en soutenant aussi les emplois non agricoles comme les boulangers et les femmes transformatrices. C’est aussi une zone fortement marquée par l’exode rurale où beaucoup de jeunes et de femmes en particulier quittent les villages pour les villes et la capitale.

SOL – Quels sont selon vous les principaux enjeux et défis de la création d’une filière céréales autonome dans ces régions ?

D’abord, il s’agit d’augmenter la productivité des céréales comme nous vivons une crise alimentaire liée à une crise sécuritaire avec la guerre entre l’Ukraine et la Russie : presque tous les produits alimentaires sont en hausse, et en particulier le blé. Il faut donc booster la production céréalière pour améliorer notre souveraineté alimentaire face aux crises.

Image 3Ensuite, l’enjeu est de créer de la valeur ajouté pour que la production ne serve pas uniquement d’autoconsommation au niveau des familles mais devienne aussi une source de création de richesse grâce à la transformation, pour permettre aux familles de se nourrir des céréales mais aussi d’avoir des ressources pour leurs autres besoins alimentaires et non alimentaires.

Un autre enjeu, c’est de développer l’économie locale de façon intravertie à travers une approche territoriale. Ici les minoteries, les producteurs, les transformateurs, les consommateurs sont dans un secteur d’un rayon de 200 à 300 km et tout tourne autour de la localité et ce sont les habitants qui en profitent.

Enfin, un autre enjeu important est la création d’emplois en milieu rural, notamment pour les jeunes et les femmes. La majorité des boulangers sont des jeunes qui forment à leur tour d’autres jeunes, tandis que les femmes transformatrices forment aussi d’autres femmes.

SOL – Avez-vous constaté des évolutions particulières sur le projet, et plus généralement pour la dynamique des filières céréalières locales suite à la pandémie mondiale ? et suite au début de la guerre en Ukraine ?

Oui. Dans son dernier discours, datant du 4 avril 2022, le président Macky Sall faisait un focus sur la production céréalière et tous les ministres et politiques en parlent de plus en plus. Donc ce que les paysans et mouvements paysans disent depuis des années est désormais repris : le gouvernement a décidé d’appuyer davantage la production céréalière. Les gens parlent beaucoup de ce sujet, à la fois sur les céréales locales mais aussi les expérimentations de production de blé avec l’ISRA qui est en train de faire des tests. Il y aura forcément d’autres crises, sanitaires, sécuritaires ou autre, donc tout le monde commence à comprendre l’importance d’assurer notre souveraineté alimentaire.

SOL – Pourquoi est-il si important d’intégrer dans le projet une telle diversité d’acteurs et d’actrices (des exploitations familiales aux consommateurs et consommatrices) ?

C’est la chaîne de valeurs qui regroupe tous les maillons de la filière. Si tu boostes la production c’est bien mais il faut que les surplus soient vendus, et si les minoteries le transforment il faut que les boulangers et les femmes le transforment en produits de consommation, et pour ça il faut des consommateurs. C’est un cercle vertueux. C’est pourquoi il faut une approche systémique qui tienne compte de tous ces acteurs, c’est ce qui va permettre la pérennité de la filière.

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SOL – Comment définiriez-vous l’évolution du projet entre son commencement (phase 1) et aujourd’hui ?

Beaucoup de choses se sont améliorées. D’abord le portage politique des associations, car on a vu que tout ce qui n’est pas porté à la base ne marche pas, donc la phase 2 a permis de beaucoup plus impliquer les associations.

L’engouement des femmes est aussi l’une des principales évolutions : on avait tablé sur 180 transformatrices bénéficiaires et aujourd’hui on peut dire que le nombre a doublé avec la démultiplication à l’initiative même de ces femmes.

Les techniques d’incorporation se sont aussi beaucoup améliorées : en phase 1 les femmes disaient que les beignets consommaient beaucoup d’huile, mais maintenant grâce aux formations elles maitrisent les techniques et ce n’est plus un frein.

Pour les boulangers, ça reste difficile mais on voit qu’il y en a quelques-uns qui sortent du lot et font figure de modèle.

Au niveau de la FONGS, toute l’équipe s’est désormais bien approprié les enjeux. On fait de plus en plus de sensibilisation auprès d’autres acteurs que ce soit le CNCR, les ministères, les parlementaires, ou nos différents partenaires. On a aussi une meilleure compréhension de ce qui nous lie avec SOL et l’AFD [Agence Française de Développement], grâce à un partenariat avec SOL qui s’est renforcé. Toute l’équipe de la FONGS a bien compris les enjeux de ce projet et travaille dans ce projet.

SOL – Pourquoi la place de la femme est-elle si importante dans le développement des filières de céréales locales ?

La femme est au centre de la filière, en amont et en aval. Traditionnellement ce sont les femmes qui sélectionnent les semences céréalières et qui font les premiers semis. Au niveau de la production, c’est la femme qui fait le vannage, tri, pilage, mouture, et même la commercialisation des céréales. Alors que les hommes sont plus sur les cultures de rentes et moins sur les cultures vivrières. Et puis elles sont au cœur de la transformation de la farine en beignet et divers autres produits : c’est un maillon très dynamique.

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SOL – Quelles sont les perspectives pour le projet Valoriser les céréales locales en 2023 dans les régions de Thiès, Kaffrine, Kaolack et Diourbel ?

La première, c’est de rentabiliser la filière et notamment le maillon des minoteries. En améliorant d’avantage la production céréalière en touchant plus d’exploitations familiales qui développent les pratiques agroécologiques. Il faut surtout renforcer le volet économique au niveau de chaque maillon, en continuant d’avancer sur le volet social qui a été au cœur des phases précédentes.

La seconde, c’est d’élargir le réseau des transformateurs, que ce soit les femmes transformatrices ou les boulangers qui s’approvisionnent au niveau des minoteries et qui travaillent sur la valorisation des céréales.

La troisième, est de renforcer le plaidoyer. D’abord au niveau local pour développer les achats institutionnels et toucher un maximum de consommateur, et consolider le portage politique des associations pour qu’après la fin du projet les associations continuent de le porter. Mais aussi au niveau national avec le CNCR pour porter le plaidoyer auprès des politiques pour que le gouvernement soutienne concrètement la filière.

SOL – Souhaitez-vous ajouter un mot ?

Tous nos partenaires qui ont pu visiter les initiatives sur la filière ont beaucoup apprécié le projet, et je sais qu’avec SOL et nos partenaires on peut travailler avec plus d’envergure et massifier cette dynamique. C’est le seul projet à la FONGS où tu manges bien pendant la visite, c’est du concret !

Retrouvez l’interview de Madame Sow Yaye Mbayang Touré lors des échanges paysans qui ont eu lieu en Inde en 2019

 

Pour aller plus loin

  • Apprenez en plus sur le projet Valoriser les céréales locales, ICI
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