Témoignage – Abdou Khadre Ndiaye, formateur sur le projet Biofermes Sénégal

Décembre 2020

Nous nous sommes rendu.es au cœur du projet Biofermes Sénégal mené avec l‘ONG des Villageois de Ndem, à la ferme de production de Nguiguss Bamba, afin de partager l’expérience d’un des acteur.rices qui font vivre le projet. Nous rencontrons Abdou Khadre Ndiaye, un formateur en maraichage biologique au sein de la ferme. Il contribue à sensibiliser les paysan.nes de la région au rôle essentiel de l’agroécologie et aide la ferme dans la gestion de l’eau, ressource rare et précieuse élémentaire aux activités maraichères développées sur les parcelles de la ferme.

Capture d’écran 2020-12-03 à 12.46.05SOL – Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Bonjour, je me nomme Abdou Khadre Ndiaye, j’ai 31 ans. Je viens du village de Tilmakha, dans la région de Thiès et je suis là en tant que formateur et encadreur agroécologie dans ce projet à Mbacké Kadior.

SOL – Quel est votre parcours ?

Issu du monde paysan, j’ai fait une formation généraliste sur l’agriculture, au CIPA de Mbao. J’ai ensuite décidé de faire une formation en agroécologie au centre Sahel Vert de Thiès. C’est la que j’ai eu mon diplôme technique (DT) en agroécologie.

SOL – Sur quels sujets formez-vous les paysannes et paysans du projet Biofermes Sénégal ?

En tant que formateur et encadreur, le principal problème que j’ai identifié concernant l’autonomie des paysans est l’accès à l’eau. J’ai décidé de les soutenir en basant ma formation agroécologique sur la gestion de l’eau, et plus largement de les accompagner dans les pratiques agroécologiques d’une manière générale.

WhatsApp Image 2020-10-30 at 18.15.20 (1)SOL – Pourquoi avez-vous décidé de vous investir en tant que formateur pour la transition agroécologique ?

L’agroécologie est un phénomène national. Avec l’agriculture intensive, nos terres sont complètement détruites, les sols ne sont plus fertiles. J’ai décidé de m’engager sur l’agroécologie en tant que formateur et encadreur afin de redonner vie à cette terre et aider les paysans à aller de l’avant. La terre et l’eau sont la base de l’agriculture. On peut travailler sur ces fondements de l’agriculture écologique pour savoir comment valoriser le sol, l’eau, la plante, les animaux, le paysage et faire ainsi fonctionner cette agroécologie.

SOL – Combien de personnes accompagnez-vous dans le cadre du projet ?

Nous avons une vingtaine de parcelles, dont 4 parcelles sont occupées par 3 femmes, les autres étant individuelles, soit une trentaine de personnes au total.

SOL – Depuis le début de votre investissement, quelles avancées avez-vous remarqué au sein du périmètre de production ?

Actuellement, nous sommes en train de faire des progrès. D’abord à travers le compostage pour pallier aux besoins d’engrais chimique. Il faut aussi des fertilisants naturels, par exemple à base de neem et d’autres plantes locales comme le lecena, le glycéridia et le moringa. C’est à partir de ces plantes que nous travaillons pour fertiliser le sol, complétées par le compost. Aussi, nous utilisons un système de paillage afin d’économiser de l’eau, en la retenant, ce qui permet également d’abriter des micro-organismes. Qui dit agroécologie dit la vie du sol. Ce sont ces thématiques que nous mettons en ce moment en pratique sur le terrain.

SOL – Quelles sont les difficultés que vous rencontrez actuellement ?

La principale difficulté est la disponibilité des paysans. C’est normal car c’est quelque chose qui est nouveau pour eux. Nous sommes en train de les motiver à considérer l’agroécologie comme quelque chose de bénéfique pour eux, qui a de nombreux avantages pour ces villages, leurs enfants et plus largement pour l’ensemble de la population.

Réunion de démarage de la saison maraîchère avec les paysan.nes travaillant sur le périmètre de production

Réunion de démarrage de la saison maraîchère avec les paysan.nes travaillant sur le périmètre de production

SOL – Le manque de disponibilité est-il aussi lié à l’hivernage* ?

Oui tout à fait, ces paysans travaillent actuellement dans leur champ où ils ont planté des cultures pluviales. Cela demande trop d’énergie de faire trois saisons maraîchères sur l’année et nous avons donc décidé de les laisser travailler principalement sur leur champ pendant l’hivernage* et de réaliser deux saisons maraîchères dans le reste de l’année.

*L’hivernage correspond à la saison des pluies, habituellement de juillet à octobre, période durant laquelle sont produits près de 95 % des denrées agricoles chaque année au Sénégal.

SOL – Selon votre expérience de formateur, quelles sont les compétences les plus urgentes à enseigner auprès des paysan.nes ?

D’abord, la priorité à enseigner est l’idée d’un sol vivant. Les paysans que je suis ne considèrent pas le sol comme étant un élément de l’agriculture mais seulement comme un support. En agroécologie, le sol est un élément fondamental de l’agriculture. Si l’on perd les éléments fertiles du sol, on ne pourra pas faire une agriculture saine et durable. Donc il faut s’investir sur le sol, l’améliorer avec les micro-organismes nécessaires, donner vie à ce sol et le respecter. Ne pas mettre d’engrais et autres intrants chimiques, travailler davantage sur les techniques de compostage avec les matériaux disponibles ici, pour fertiliser le sol.

Ensuite, il faut voir avec eux le système de rotation des cultures. Ici, la plupart des variétés de cultures que l’on utilise dans les champs sont de la famille des solanacées. Par habitudes les paysans n’utilisent pas les cucurbitacées (melons, laitues, etc.) mais seulement es aubergines, les tomates, les piments. Il faut donc insérer dans leur alimentation d’autres familles. Donc on va faire une association de cultures et valoriser ces cultures là, ce qui va leur apporter quelque chose dans les pratiques agricoles et dans leur alimentation.

 

SOL – Depuis votre investissement dans l’agroécologie, avez-vous remarqué un changement de comportement des habitant.es, des paysan.nes et/ou des consommateur.rices ?

On est actuellement à deux mois de formation donc il est un peu tôt pour voir de vrais changements en ce sens. Cependant, sur la sensibilisation, les paysans ont un aperçu que les aliments qu’ils consommaient auparavant n’étaient pas les bons. Les aliments issus de l’agriculture biologique sont meilleurs pour la santé et pour l’environnement. Grâce aux activités de sensibilisation menées depuis le début de la formation, ces paysans ont pu se rendre compte que les produits issus de l’agroécologie étaient meilleurs et donc qu’il fallait adopter ces pratiques.

SOL – Quelles sont les prochaines étapes afin de développer le périmètre de production ?

Nous avions décidé au début de faire 3 saisons maraîchères au cours des 10 mois de formation. Finalement nous avons réduit à 2 saisons maraîchères du fait des difficultés de commencer une saison pendant la période des pluies*. La première saison doit désormais commencer au mois de Décembre, saison qui va durer 3 à 4 mois, jusqu’en Mars. Puis une deuxième saison d’Avril à Juillet, avant de laisser en repos pendant l’hivernage. Pour la première saison maraîchère, nous avons décidé de pratiquer une agriculture très productive. Grâce à l’accès à l’eau permis par la mise en fonctionnement du forage et la pose des panneaux solaires, nous avons tout ce qu’il nous faut pour pouvoir pratiquer une agriculture intensive, avec des cultures qui soient rentables pour les paysans, permettant un retour d’investissement sur le forage, en incluant le prix de l’eau, ce qui les motivera à travailler sur ces parcelles. Nous travaillerons sur une association de cultures élargies (carottes, laitues, navets, etc.), beaucoup d’espèces qu’ils ne connaissent pas encore et qu’ils vont pouvoir ainsi découvrir. Puis nous allons voir l’évolution des comportements et l’avancement de ce travail pour planifier ensuite la deuxième saison maraîchère.

*Suite au retard pris dans le calendrier de démarrage du projet, dû à la pandémie de la Covid-19, la formation continue n’a commencé qu’au début de la saison des pluies, en Juillet au lieu de Mars, ce qui a amené Abdou Khadre à modifier le programme de formation initialement prévu.

SOL – Est-ce que vous avez également travaillé sur la reproduction des semences ?

La case de semences dans la ferme de formation

La case de semences dans la ferme de formation

Oui, nous sommes en train de travailler cela. Ce n’est pas ici à Gouybinde (ferme de production) mais à Tawfekh (ferme de formation). Avec Silman, nous sommes en train de faire des expérimentations sur la reproduction des semences. Nous ne le faisons pas dans le cadre de la formation des paysans sur la ferme de production car il leur manque des connaissances de base importantes, ce qui est un problème. Nous faisons cela à part avec Silman. Ici, à Gouybinde, nous nous concentrons sur la production maraîchère.

SOL – Est-ce que vous aimeriez évoluer dans votre rôle de formateur ? Apprendre de nouvelles compétences ? Enseigner à plus de paysan.nes, éventuellement dans d’autres endroits ?

J’aimerai beaucoup continuer en tant que formateur, mais pour les prochaines années j’ai décidé de m’investir moi-même dans l’agriculture écologique en tant que paysan. J’étais à l’école pour apprendre l’entreprenariat, accumuler beaucoup d’expériences et de compétences. Donc il va falloir d’abord que je travaille pour mon propre compte pour avoir de quoi m’épanouir, répondre à mes besoins et apprendre de nouvelles connaissances. Mes besoins sont similaires aux besoins de ces paysan.nes que j’essaye de former. Je serais toujours disponible pour aider les paysans. Mon rôle, c’est d’aider les paysans en tant que paysan.

Lors d’une session de formation introductive sur l’agroécologie donnée par Abdou Khadre sur la ferme de production de Gouybinde, Juillet 2020

Lors d’une session de formation introductive sur l’agroécologie donnée par Abdou Khadre sur la ferme de production

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