Le TAFTA s’invite aux apéros thématiques

Une quarantaine de participants se sont réunis, le 25 mai 2016, lors de notre apéro thématique sur le traité de libre-échange nord atlantique. Communément désigné par les acronymes TAFTA ou TTIP , cet accord suppose de nombreux changements pour les Européens, en termes d’agriculture et d’alimentation. Nous avons donc échangé, pendant deux heures, autour des conséquences du TAFTA sur l’agriculture et l’alimentation.

Les Amis de la Terre étaient bien représentés lors de cet échange, puisque Johan Tyszler, du collectif STOP TAFTA, a dû annuler sa venue à la dernière minute. Nos deux intervenants faisaient donc partie de cette ONG qui fait valoir la justice environnementale et économique dans plus de 75 pays à travers le monde. Nicolas Roux, référent accords commerciaux des Amis de la Terre, a entamé la conversation. Il est spécialiste des accords commerciaux bilatéraux, et son travail consiste en l’étude et l’interprétation de ces textes souvent difficiles d’accès de par leur technicité. Thomas Borrell, chargé de campagne aux Amis de la Terre sur le TAFTA et l’agriculture, a poursuivi la conversation en s’appuyant sur son expertise en matière agricole.

Une idée ancienne pour un accord de nouvelle génération
Nicolas Roux a commencé par une leçon d’Histoire en remontant jusqu’aux origines du TAFTA, avant d’expliquer pourquoi il appartient à une nouvelle génération d’accords commerciaux.
L’idée d’un accord de libre-échange transatlantique n’a rien de nouveau. Dès la déclaration transatlantique de 1990, on commençait à évoquer un accord commercial entre les Etats-Unis et l’Union européenne. Malgré des négociations opaques et des textes quasiment inaccessibles, les fuites de Greenpeace et l’étude du texte du CETA (dont la logique sous-jacente est semblable à celle du TAFTA) nous permettent de comprendre que ces accords commerciaux appartiennent à une nouvelle génération, et se démarquent des accords modernes d’investissement conclus à partir des années 1940.
Le TAFTA est un accord « vivant » qui, une fois ratifié, fera évoluer les cadres législatifs nationaux dans la perspective de la coopération réglementaire. En effet, cette clause du traité transatlantique vise à l’harmonisation et à la reconnaissance mutuelle des normes européennes et américaines. Par exemple, les Européens appliquent le principe de précaution, c’est-à-dire qu’ils interdisent la mise sur le marché de produits qui présentent potentiellement un risque sanitaire, et pour lesquels aucune étude ne permet d’infirmer le risque. La pratique aux Etats-Unis est inverse, tant qu’aucune étude n’infirme le risque potentiel d’un produit, celui-ci reste sur le marché. La clause de coopération réglementaire pourrait, bien après la signature de l’accord, forcer les pays de l’Union européenne à renoncer au principe de précaution.

Image Carte et agri
Une justice hors des Etats
Le texte du traité transatlantique propose aussi d’accentuer la protection de l’investissement privé via le mécanisme arbitral de règlement des différends. Ce mécanisme existe déjà au travers des accords de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), mais le TAFTA entend le renforcer. Il permet à une firme multinationale d’attaquer en justice un Etat, si une de ses règles ou normes menace la rentabilité des investissements à l’étranger de la firme. Ce type d’affaire est réglé par un tribunal arbitral, totalement indépendant de la justice nationale, composé de trois arbitres : l’un est choisi par la firme, l’autre est choisi par l’Etat, et le troisième est choisi par les autres premiers arbitres.
Salvador Allende déplorait, lors de sa tribune à l’ONU en 1972, que les firmes multinationales étaient en train de prendre le pouvoir sur les Etats. Les deux mécanismes décrits précédemment, à savoir, la coopération réglementaire et le mécanisme arbitral de règlement des différends, renforcent le pouvoir des firmes multinationales sur les Etats, et ce, au dépens des parlements nationaux et de la souveraineté des peuples. En effet, la coopération réglementaire facilitera le travail des lobbys, qui n’auront plus qu’à choisir les normes qu’ils préfèrent dans chaque zone pour les faire appliquer des deux côtés de l’Atlantique au nom de ce principe de coopération. Par ailleurs, le mécanisme arbitral de règlement des différends permet aux firmes de remettre directement en cause les règles des Etats, et de les faire changer.

Les conséquences sur l’alimentation
Thomas Borrell a poursuivi en cernant les conséquences du TAFTA dans le domaine agricole, et plus largement, alimentaire.
La question des droits de douanes est quasiment absente des négociations du TAFTA. A l’exception des produits agricoles, les droits de douane sont déjà quasi nuls entre l’Europe et les Etats-Unis. L’harmonisation des normes, en revanche, est au cœur de ces accords. Les coûts de production agricoles sont beaucoup plus bas aux Etats-Unis qu’en Europe, car les producteurs réalisent des économies d’échelle significatives, et ils bénéficient de règles environnementales et sociales plus permissives. Ce ne sont pas les droits de douane, mais bel et bien les normes européennes qui empêchent les produits agricoles d’outre Atlantique d’entrer sur le marché du vieux continent. Notamment les normes interdisant des organismes génétiquement modifiés (OGM), la viande de bœufs nourris aux hormones, ou encore les poulets lavés au chlore. La coopération règlementaire pourrait ouvrir à ces produits l’accès au marché européen. Le CETA comprend déjà un quota d’importation de bœuf aux hormones canadien vers l’Europe, représentant environ 65 000 tonnes de bœuf par an. Au vu de la production américaine, la ratification d’un même quota dans le TAFTA permettrait l’importation de plus de 230 000 tonnes de bœuf aux hormones, chaque année, sur le sol européen.
Le TAFTA est susceptible de modifier, non seulement, la typologie des produits alimentaires présents sur le marché européen, mais aussi les pratiques des agriculteurs européens. Ces–derniers seront incités à adopter les pratiques agro-industrielles nord-américaines. L’harmonisation des normes se fera donc aux dépens du bien-être animal dans l’élevage européen. Et, sur le plan de la culture, les semences paysannes seront menacées, puisque les agriculteurs devront fournir une preuve attestant que les semences qu’ils utilisent ne sont pas des contrefaçons de semences brevetées.

Un traité commercial impliquant un changement de modèle
Nous voyons donc que le traité de libre-échange nord-Atlantique n’est pas un simple traité commercial. En se focalisant sur ses conséquences dans les domaines agricoles et alimentaires, nous constatons qu’il peut, voire, qu’il aspire à modifier les normes européennes concernant la consommation de produits agricoles, ainsi que le modèle agricole européen. Si ce-dernier a grand besoin d’être réformé, la réforme ne doit pas se faire en suivant l’exemple du modèle agricole d’outre-Atlantique. Au-delà de la question agricole, le principe d’harmonisation des normes touche à tous les secteurs de l’économie. Les normes sont issues d’un processus démocratique propre à chaque nation, et, en théorie, garantes de l’intérêt général. Au sein-même de l’Union européenne, les normes ne sont pas harmonisées. Si les pays d’Europe, culturellement proches, n’arrivent pas à harmoniser leurs normes entre eux, il est invraisemblable, à l’heure actuelle, d’envisager une harmonisation avec les Etats-Unis.
Finalement, le TAFTA soulève une question à propos de l’intérêt général. Qu’est-ce qui est le plus utile, le plus bénéfique pour nos sociétés ? Améliorer les termes de l’échange, faciliter le commerce, et ainsi, augmenter le pouvoir d’achat des consommateurs sans se soucier de la qualité des produits ? Ou bien garantir à chaque nation le respect des normes environnementales, sociales, et sanitaires, qu’elle a jugées judicieux de mettre en œuvre sur son propre territoire ?

Les accords économiques ont tendance à réduire l’intérêt général au pouvoir d’achat des consommateurs, or c’est une notion bien plus large qui tient compte de l’environnement, de la qualité de la vie, et des générations futures. Dans cette optique, le gain économique qu’induirait le TAFTA semble dérisoire à côté de la régression sociale et environnementale qu’il représente.

Consultez la bibliographie pour aller plus loin…

En partenariat avec la Fondation Ekibio, nous proposons lors de nos Apéros thématiques
une dégustation de produits issus du commerce équitable, dans le respect d’une agriculture familiale et biologique.

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